Les îles Sainte-Hélène et Notre-Dame ont accueilli plusieurs festivals de musique au fil des ans. Mais saviez-vous que bien avant Osheaga, Heavy Montreal ou le Piknic Électronik, il y a eu Terre des Hommes? Au tournant des années 1960-1970, l’exposition permanente a en effet accueilli de nombreux artistes internationaux ou locaux d’importance, parmi lesquels Black Sabbath, Robert Charlebois, les Guess Who, James Brown, Joan Baez, Frank Zappa, Nina Simone, Léo Ferré ou Chuck Berry. Chaque été, les photographes de la Ville de Montréal étaient sur place : ils nous ont laissé de nombreux clichés inédits de ces concerts. Nous vous présentons pour la première fois ces images, dont plusieurs ont récemment été numérisées.
1968
Bien sûr, il y a d’abord Expo 67, avec sa multitude de spectacles présentés au cours de l’été. En tout, 727 groupes musicaux de 21 pays différents (mais principalement des États-Unis et du Canada) y donnent plus de 2 000 spectacles gratuits. Mais ce n’est qu’un début : cet événement ponctuel se transforme progressivement en festival annuel à partir de 1968.
Dès ses débuts, l’exposition permanente Terre des Hommes comporte en effet un volet musical. Les premiers pas sont modestes. En avril 1968, l’administration municipale lance une invitation à tous les groupes amateurs : « en venant se produire sur place, ils pourront bénéficier de l’entrée gratuite sur le site les jours de leur spectacle » (Montreal Star, 1er avril 1968). La Place des Nations est transformée en discothèque géante gratuite. On réfléchit à la possibilité d’utiliser certains sites (le Théâtre du Canada, le Jardin des Étoiles) comme lieux de spectacles où l’on pourrait inviter des « vedettes ».
La chanteuse Muriel Millard se produit plusieurs semaines au Jardin des Étoiles. Ginette Reno lui succède en août. Jean-Pierre Ferland et Louise Forestier donnent un concert à la Place des Nations le 8 août. Parmi les autres noms à l’affiche cet été là : Louis Armstrong, Jean-Guy Moreau, Claude Gauthier, Miriam Makeba et l’OSM. Un festival pop et quelques concerts sont organisés en dehors du site, à l’Autostade (Herb Alpert et son orchestre Tijuana Brass), tandis que de nombreux spectacles faisant plus généralement partie de ce « festival d’été » se tiennent en salle, par exemple à la Place des Arts et au théâtre Maisonneuve. Au terme de 1968, il y aura donc bel et bien eu des concerts, mais les réalisations demeurent modestes comparativement à celle d’Expo 67.
1969
Terre des Hommes souhaite bonifier l’offre de spectacles sur les îles à l’été 1969. Le directeur du bureau des spectacles, Marc Latraverse (ancien directeur de l’agence « les Artistes nord-américains » et frère du producteur et imprésario Guy et de la comédienne Louise), désire « mettre sous contrat de grands noms de la chanson et des variétés » (Dimanche-Matin, 27 avril 1969). Pour ce faire, il dispose d’un budget de 800 000$. On voit grand, on met sur pied le « Festival des étoiles », qui prévoit des concerts gratuits tout au long de l’été. Les spectateurs devront toutefois acheter leur visa pour accéder au site (un visa pour la saison complète coûte par exemple 12$).
Parmi les noms progressivement confirmés : Juliette Gréco, Françoise Hardy, Gilbert Bécaud, Nina Simone, Thelonious Monk, Jimmy Smith, Sam & Dave, France Gall, Petula Clark, James Last, Erroll Garner, Vanilla Fudge, Joan Baez, Sly and the Family Stone, Frank Zappa, the Fifth dimension, Monique Leyrac, The Crazy World of Arthur Brown, Eva, Claude Léveillée et Gilles Vigneault. Les concerts auront lieu à la Place des Nations, au Kiosque international ou au Théâtre du Canada. Une nouveauté par rapport à l’année précédente, Terre des Hommes aura son orchestre officiel, appelé à participer à diverses manifestations.
Le chanteur français Gilbert Bécaud ouvre la saison des spectacles sur la Place des Nations le samedi 14 juin 1969. Le succès est au rendez-vous, alors que la foule compacte envahit la place à pleine capacité. La Ville lui offre pour un soir un cachet de 10 000$ (auquel s’ajoute un 5 000$ pour son chef d’orchestre Christian Bernard).
À ce sujet, à quel cachet peuvent s’attendre les artistes invités par la Ville de Montréal? Voici quelques exemples :
– 3 000$ pour Thelonious Monk et ses 3 musiciens – 1 spectacle à la Place des Nations le 21 juin
– 5 000$ pour Nina Simone et ses 9 musiciens – 1 spectacle à la Place des Nations le 21 juin
– 5 500$ pour Pete Seeger and the Hudson River (11 personnes) – 1 spectacle à la Place des Nations le 12 juillet
– 8 500$ pour France Gall – 5 spectacles au Kiosque international les 14, 15 et 16 juin.
– 8 500$ pour Tiny Tim – 1 spectacle à la Place des Nations.
– 10 000$ pour Ravi Shankar et ses musiciens – 5 spectacles au Kiosque international les 9, 10 et 11 août
– 11 850 pour Juliette Greco et ses 6 musiciens – 5 spectacles au Kiosque international
– 15 000$ pour the Fifth dimension – 1 spectacle à la Place des Nations le 20 août
– 16 050$ pour James Brown et son orchestre – 1 spectacle à la Place des Nations le 2 août
– 16 500 pour Sergio Mendez et Brazil 66 – 1 spectacle à la Place des Nations le 27 août
Au début du mois de juillet, Juliette Gréco donne cinq représentations au Kiosque international : la salle est pleine. Le journaliste culturel René Homier-Roy est sur place. Dès son entrée sur scène, la chanteuse française montre qu’elle « pourrait triompher de n’importe quel public », choisissant pour l’occasion un répertoire simple, facile, composé de pièces très connues comme Paris-Canaille, Chandernagor, Si tu t’imagines, Sous le ciel de Paris ou Les feuilles mortes. Les spectateurs présents lui réservent un triomphe (La Presse, 7 juillet 1969)
Le samedi 5 juillet, ce sont les très populaires américains du groupe rock psychédélique Vanilla Fudge qui sont de passage à la Place des Nations. Plus de 25 000 spectateurs répondent à l’appel et envahissent le site. Dès les premières chansons, l’organiste du groupe lance un appel à l’assistance entassée derrière les barrières en place. « Rapprochez-vous! Venez vous joindre à nous! » lance-t-il. En moins d’une minute, près de 2 000 jeunes envahissent la scène. Surpris, les musiciens sont obligés de quitter en coulisses. Il faut près de 40 minutes aux policiers pour rétablir l’ordre. Le spectacle peut enfin reprendre. Alors que la foule continue de se presser vers l’avant, un cordon policier est maintenu au devant de la scène. Comme le dira l’organiste du groupe en fin de soirée : « It was a ball, Montrealers sure know how to respond! ». Les membres du groupe connaissent toutefois une fin de séjour à Montréal moins heureuse. Mark Stein et Richard Zimmer sont en effet arrêtés par la police dans leurs chambres de l’hôtel Mont-Royal, après avoir été trouvés en possession de plusieurs grammes de haschisch.
Le samedi 12 juillet, Pete Seeger et les Hudson River Sloop Singers présentent leur spectacle à la Place des Nations. Sur le rebord du banjo du chanteur folk, on retrouve cette inscription : « Cet instrument cerne la haine et la contraint à capituler ». Seeger remplace Joan Baez, dont le concert a dû être repoussé au samedi suivant, le 19 juillet.
Qu’à cela ne tienne, la célèbre chanteuse américaine, grande promotrice de la non-violence, des droits civiques et de la paix, est présente la fin de semaine suivante. En compagnie du Struggle Mountain Resistance Band, Joan Baez livre ses chansons folk avec beaucoup de conviction et une touche d’humour. Elle interprète également une pièce des Beatles, une autre de The Band (I shall be released, qui devient We shall be released) ainsi que Suzanne, de Leonard Cohen. Enceinte, la jeune chanteuse profite notamment de sa tribune pour prendre la défense des opposants au service militaire (dont fait partie son mari, alors emprisonné pour cette raison). Elle est chaleureusement et longuement applaudie. (The Gazette, 21 juillet 1969)
Les populaires Sam & Dave, artistes de musique soul, sont au Kiosque international les 19, 20 et 21 juillet. Accompagnés par des musiciens du Tijuana Brass et de Margie Hendricks des Raelettes (Ray Charles), ils y présentent des « standards », accueillis avec un enthousiasme modéré par les adolescents présents. (The Gazette, 21 juillet 1969)
Le 23 juillet, on peut assister à la prestation des sept Californiens du groupe The Association, qui offre des chansons et des harmonies proches de celles des Beach Boys. La foule est dense sur la Place des Nations pour célébrer leur musique convenue, mais parfaitement exécutée. Parmi les nombreuses personnes présentes qui esquissent des pas de danse, on remarque un spectateur plus âgé, vêtu d’un chandail à l’effigie de Harry Truman et d’un large sombrero. L’ambiance est à la bonhomie (The Gazette, 24 juillet 1969).
Le 2 août, c’est au tour du roi du soul, le chanteur James Brown, de fouler la scène de la Place des Nations. Accompagné de 21 musiciens et d’une troupe de danseurs, Brown chante, crie, hurle, rit ou pleure et rallie la foule présente. La Place est pleine à craquer (27 000 spectateurs, la plus grande foule à cette date) et 130 employés sont présents pour assurer la sécurité. On dénombre pas moins de 50 cas d’évanouissements causés par la chaleur torride et la densité de la foule: les jeunes victimes doivent être transportées à la tente des premiers soins, où elles récupèrent sans trop de mal. Sur place, indifférent à l’enthousiasme quasi-hystérique qui l’entoure, le journaliste culturel René Homier-Roy est pour sa part déçu par le chanteur et « ses techniques quelconques et démodées ». Force lui est tout de même de reconnaître « que ce petit homme est assurément un des meilleurs chanteurs noirs actuels et qu’il sait admirablement chauffer un orchestre et un public » (La Presse, 4 août 1969)
Le grand cithariste indien Ravi Shankar donne trois spectacles au Kiosque international les 9, 10 et 11 août. L’artiste impressionne notamment grâce à ses improvisations surprenantes, d’une grande finesse. Le public est enchanté et debout en fin de concert. (The Gazette, 11 août 1969)
Le 9 août 1969, c’est également le concert de Robert Charlebois sur la Place des Nations. Les cheveux teints en blond, le chanteur monte sur scène « entre les jambes d’un immense géant de plastique noir gonflé, habillé d’un « jump suit » or garni de frites pailletées ». L’immense foule a notamment droit aux chansons Dolores, Demain l’hiver, Californie, Egg generation, Engagement, CPR blues, Lindbergh, Tout écartillé et Ostiville. La performance est enlevante, le groupe de rock libre du Québec (dérivé du quatuor de jazz libre) est à la hauteur et le guitariste Arthur Cossette arbore fièrement ses plus belles plumes pour l’occasion. En première partie, les spectateurs ont droit à la Révolution française (ex Sinners) et au groupe le Triangle. (Dimanche-Matin, 10 août 1969)
Le samedi 16 août, c’est au tour de Frank Zappa d’offrir une prestation, au sein des Mothers of invention. Le concert a lieu au Kiosque du Canada. Sur scène, ils sont dix musiciens, dont deux batteurs, un trompettiste, deux pianistes, des saxophones et des guitares. Si chacun fait le pitre tour à tour comme le veut la tradition, tous « jouent avec discipline le moment venu, dans la meilleure tradition du jazz ». La musique est « jolie et sophistiquée ». La pluie se mêle toutefois de la partie et le groupe doit abréger sa prestation. (La Presse, 18 août 1969)
Le même soir, la grande chanteuse soul Mahalia Jackson bouleverse la foule venue assister à son concert sur la Place des Nations. Infatigable en apparence malgré de récents problèmes cardiaques, Jackson, qui a presque 60 ans, charme et enthousiasme avec ses chansons teintées de gospel et de jazz. Elle interprète notamment Lord remember me, Down by the Riverside et I found the answer. (Montreal Star, 18 août 1969)
Le 23 août, James Last foule les planches de la Place des Nations, en compagnie de ses 17 musiciens. Par un temps magnifique et doux, l’arrangeur-chef d’orchestre livre un « récital de ses plus grands succès sur disques », y allant même d’un « étonnant Give peace a chance », qu’il chante avec deux de ses invités tandis que les musiciens de l’orchestre se baladent sur scène avec leurs instruments. Sur place, René Homier-Roy avoue préférer les cuivres de James Last aux violons de Paul Mauriat (autre arrangeur et chef d’orchestre bien connu de ces années). (La Presse 25 août 1969)
Au terme de cette saisons estivale de 1969, force est de reconnaître « l’étonnante qualité de ce Festival qui a fait défiler quelques uns des plus grands noms du spectacle international ». « L’organisation a fait des miracles avec presque rien (…) se donnant un mal de chien pour faire de cette manifestation un succès ». (La Presse, 11 septembre 1969). En tout, Terre des Hommes a présenté 196 spectacles professionnels auxquels ont assisté 864 900 personnes
1970
À l’été 1970, le « Festival des étoiles » comprend 26 spectacles à la Place des Nations (mercredis et samedis), 65 au Kiosque international (samedis, dimanches et lundis), 144 au Théâtre du Canada (du mercredi au dimanche) et 12 au Kiosque du Canada (qui devient le centre de la musique pop le mardi soir et est utilisé « presque uniquement en fonction de la jeunesse »). La discothèque est par ailleurs en opération pendant 72 jours. On refuse toutefois d’organiser un grand festival de musique pop, pour des raisons de logistique et de sécurité (l’idée sera reprise en 1971). Le budget total pour l’ensemble des spectacles est de 1 271 000$. (Le Devoir, 1er avril 1970)
Comme pour l’année précédente, les concerts sont gratuits, mais l’entrée sur le site demeure payante. Les prix sont de 12$ pour un visa de saison adulte, 7,5$ pour un visa de saison jeunesse (entrée libre pour les moins de 6 ans), 2,5$ pour un visa d’une journée adulte et 1,25$ pour un visa d’une journée jeunesse. Marc Latraverse demeure à la tête de la programmation, comme directeur du service des spectacles. Au printemps, il voyage aux États-Unis et en Europe afin de rencontrer divers artistes. Elvis Presley est notamment invité, mais le cachet exigé de 120 000$ est jugé trop élevé.
On souhaite donner une place à tous les styles musicaux : acid-rock, blues, ballades, chansons populaires, soul, country, western, etc. La programmation est vaste : on accueillera notamment les Guess Who, Procol Harum, Chicago, Trini Lopez, Paul Anka, Wilson Pickett, Tonny Bennett, Lou Rawls, Johnny Mathis, Henry Mancini, France Gall, Peggy Lee, Booker T and the MG’s, Sonny & Cher, Joe Cocker, Dionne Warwick, the Temptations, Frida Boccara, Chet Atkins et BB King. Du côté québécois, on aura notamment Ginette Reno, Claude Léveillée, Renée Claude, L’infonie, les Jérolas, Donald Lautrec et Robert Charlebois. Terre des Hommes possède son propre ensemble de jazz ainsi que son orchestre classique. Ces formations accompagnent les artistes de passage lorsque c’est nécessaire.
On donne une cure de jeunesse aux équipements de la Place des Nations : une nouvelle scène de 20 pieds par 60 pieds est érigée, un système d’amplification de 1 000 watts et des nouveaux haut-parleurs sont ajoutés et le système d’éclairage est bonifié.
La programmation donne une grande place aux chanteurs venus d’ailleurs mais génère parallèlement du mécontentement chez les artistes québécois. La Guilde des musiciens dénonce ainsi une année « franchement mauvaise pour les musiciens montréalais » et menace de déclarer Terre des Hommes « terra inimica » l’année suivante. Marc Latraverse se défend en suggérant que les artistes internationaux attirent beaucoup plus les foules. (La Presse 13 août 1970)
Ginette Reno ouvre la saison avec un spectacle fort réussi au Jardin des étoiles, démontrant qu’elle « n’a rien perdu de son excellente technique de cabaret ». En première partie, André Gagnon et son clavecin électrique (La Presse, 12 juin 1970). C’est ensuite à Renée Claude d’ouvrir la saison du Kiosque international, avec autant de bonheur que Ginette Reno. « Renée Claude, très belle dans un ensemble noir, a chanté pendant près d’une heure, ne s’interrompant que pour présenter, de quelques mots très heureusement choisis, quelques unes de ses chansons » (René Homier-Roy, La Presse, 15 juin 1970)
Le 16 juin, c’est au tour des américains de Booker T. and the M.G.’s de présenter leur musique soul instrumentale sur la Place des Nations. Les quatre musiciens réussissent à charmer et à faire danser les quelques milliers de spectateurs sur place. Booker Jones (orgue), Al Jackson (batterie), Duck Dunn (basse) et Steve Cropper (guitare) interprètent notamment Green onions (leur grand succès), Sweet potato, Hiphugger et Soul Limbo.
Le 23 juin, une horde de jeunes spectateurs envahit la Place des Nations, « se donnant des aires de Peter Fonda », cigarette à la bouche, en attendant le groupe britannique Procol Harum. Lorsque les musiciens embarquent enfin sur scène, la sonorisation se révèle malheureusement défaillante. Pour le spectateur, c’est un peu comme « écouter un vieux disque rayé sur un lecteur portatif antique » (The Gazette, 25 juin 1970). Le système de son de la Place des Nations est simplement inadéquat face aux amplificateurs et aux équipements puissants utilisés par le groupe. L’administration corrigera le tir au lendemain de ce désastre. Malgré tout, l’immense foule présente semble apprécier la performance, qui culmine avec l’interprétation du succès A whiter shade of pale. Le jeu du batteur B. J. Wilson impressionne comme toujours.
Le 1er juillet, c’est au tour des Guess Who d’affronter la Place des Nations. Le groupe canadien ne déçoit pas, proposant des réinterprétations nouvelles de ses succès, se lançant même par moments dans de sympathiques improvisations. On profite de ce spectacle pour lui remettre un disque d’or qu’il s’est récemment mérité. Même si la Place n’est pas remplie à pleine capacité, la foule sur place est considérable. (La Presse 2 juillet 1970).
Le 19 juillet, le chanteur québécois Claude Léveillée donne un concert très réussi dans un Kiosque international bondé (quelque 3 000 personnes). Il y chante de vieux et récent succès, mais également des nouvelles chansons, le tout avec beaucoup de chaleur. L’accompagnement musical inclut une flûte, des bongos, un second piano et quatre choristes.
Certains soirs, la Place des Nations se transforme plus en lieu de socialisation qu’en salle de concert. Lors du passage du groupe Chicago, le journaliste Juan Rodriguez note ainsi que la majorité de la foule présente ne voit pas la scène, que la plupart sont assis, discutent, écoutent une radio transistor, ou restent simplement immobiles les yeux dans le vide, prenant tout de même le temps d’applaudir le groupe à la fin de chaque chanson. (Montreal Star, 29 juillet 1970). À l’inverse, le passage réussi de Wilson Pickett fait danser chacun des 20 000 spectateurs réunis sur la Place des Nations (Montreal Star, 12 août 1970).
Le 7 septembre 1970, le Journal de Montréal titre : « Pour Robert Charlebois, ils étaient 50 000 ». Si le nombre est exagéré (la Place des Nations a une capacité maximale de 25 000 personnes environ), l’article reflète le succès colossal rencontré par le chanteur québécois, qui vient tout juste de remporter le grand prix du festival international de Sopot, en Pologne. La foule supporte stoïquement le vent glacial et la pluie qui balaient la Place des Nations. Charlebois présente un spectacle solide, rassembleur, « plein de feu et de vie », dans lequel il enchaîne notamment Mon pays, Oridnaire, Tout écartillé, Te v’là, Québec Love, Sensation, Lindbergh ou Terre-Love. En première partie, la chanteuse Monique Leyrac est accompagnée de 12 musiciens « dirigés avec beaucoup de précision par Franck Dervieux ». (René Homier-Roy, La Presse, 8 septembre 1970)
Le spectacle clôture la saison 1970 des spectacles de Terre des Hommes. En tout, près de 6 millions de personnes auront foulé le sol des îles durant l’été 1970.
1971
En 1971, la Ville de Montréal souhaite présenter deux fois plus de spectacles que pour l’année précédente. Cette fois, c’est André Morin, réalisateur à la télévision de Radio-Canada, qui est choisi comme producteur des spectacles de Terre des Hommes. Les concerts auront lieu tous les jours, à la Place des Nations et au Kiosque international (île Sainte-Hélène), ainsi qu’au Théâtre du Canada, au Théâtre de la lagune et au Kiosque du Canada (île Notre-Dame). Si l’accès général au site de Terre des Hommes est gratuit, les visiteurs doivent le plus souvent payer un droit d’entrée pour assister aux spectacles (les prix vont de 50c à 2$) et pour visiter les Pavillons (de 25c à 1$). On souhaite toutefois maintenir au plus bas le prix des concerts, afin d’encourager leur accessibilité pour tous.
Comme ses prédécesseurs, André Morin souhaite que tous les genres musicaux soient représentés à Terre des Hommes : opéra, comédie musicale, western, jazz, rock underground, chanson, musique pop ou humour seront notamment au programme. « Avant même que le programme de la saison ne soit arrêté, je puis dire que tous les genres de spectacles auront droit de cité à Terre des Hommes pendant la saison 1971. (…) Terre des Hommes est une entreprise publique et tout le monde doit en avoir pour son argent » (Mars 1971). Cette année, le site sera ouvert du 11 juin au 6 septembre, de 11h à 2h30am.
André Morin contacte notamment les productions Donald K. Donald afin de s’assurer de la participation de certains groupes rock. S’il est trop tard pour inviter de grosses pointures à la Led Zeppelin, Terre des Hommes ne désespère pas d’attirer des artistes de « calibre international ». Les groupes rock doivent surtout être présentés les vendredi soirs à la Place des Nations, au coût de 2$ par personne. Le samedi est réservé aux chanteurs populaires.
Les vedettes locales de la chanson se produisent quant à elles au Kiosque international, du jeudi au dimanche. Ce même Kiosque accueille les musiciens jazz les mardis et mercredis soirs. Du côté du Théâtre du Canada, on présente des concerts de musique classique les lundis soirs et les autres-après-midis de semaine, le tout organisé par le Centre d’art d’Orford des Jeunesses musicales. Au Théâtre de la Lagune, on offre des concerts de musique lyrique les soirs de fin de semaine (et un opéra-rock amateur en semaine). Enfin, le Kiosque du Canada accueille des groupes amateurs de musique pop, des chorales ou des troupes de folklore.
Début juin, on dévoile les « têtes d’affiches » : Jerry Lewis, Tino Rossi, Charles Trenet, Léo Ferré, Robert Charlebois (qui annulera finalement son spectacle), Paul Anka, Mahalia Jackson, Emerson Lake & Palmer, The Allman Brothers Band, Gilles Vigneault, Charlie Byrd, Dizzie Gillepsie, Mountain, Richie Havens et Black Sabbath sont du nombre. Les cachets les plus élevés dépassent les 10 000$ (avec par exemple Mountain, Richie Havens, Tino Rossi, Paul Anka ou Jerry Lewis). Suivent des groupes comme Emerson Lake & Palmer (7 000$), le Paul Butterfield blues band (4 000$), les Byrds (6 500$), Procol Harum (7 000$) et Black Sabbath (7 500$). Les artistes de chez nous perçoivent des cachets oscillant le lus souvent autour de 3 240$ (Renée Claude, Michel Louvain, Claude Valade, Michèle Richard, Claude Blanchard, Claude Landré).
Les débuts de la saison 1971 sont difficiles, alors que le public n’est pas toujours au rendez-vous. De nombreux artistes doivent affronter un parterre presque vide. Le 12 juin, le Festival western attire à peine 318 spectateurs à la Place des Nations. Marcel Martel ou Ti-Blanc Richard affrontent la situation avec bonne volonté : « on n’est pas gros ce soir mais on va avoir du plaisir, ok mesdames messieurs? » (La Presse 14 juin 1971). Il faut dire que le service de publicité de Terre des Hommes a été mis sur pied à la toute dernière minute. Bon nombre d’artistes locaux se plaignent du peu de promotion que les responsables leur accordent. Tex Lecor se produit devant une cinquantaine de spectateurs lors de son premier concert. L’humoriste Claude Landré vit un sort similaire (167 personnes le vendredi, 533 le samedi et 336 le dimanche).
Claude Landré sort d’ailleurs de ses gonds à cette occasion et déclare : « C’est tout simplement révoltant la façon dont ont traite les artistes qui acceptent d’aller présenter des spectacles (…) Au service de presse, on s’est contenté de faire parvenir aux journaux un communiqué laconique, à diffuser un horaire par l’agence d’information Telbec et à publier quelques annonces avec nos photographies de la grandeur d’un timbre-poste. (…) Comment espère-t-on attirer le public ainsi? » (Dernière heure, 4 juillet 1971). Le service des relations publiques reconnait le problème et fait passer le budget de publicité de 50 000 à 150 000$. On se défend par ailleurs en expliquant que la Ville n’a officiellement mandaté ce service ad hoc que trois semaines avant l’ouverture de Terre des Hommes, alors qu’il aurait fallu des mois pour se préparer adéquatement.
Même le spectacle de la célèbre vedette américaine Jerry Lewis n’attire que 8 000 personnes. C’est bien peu par rapport aux 25 000 spectateurs qui viennent écouter les rockeurs américains de Mountain le 18 juin. Le groupe mené par Leslie West et Felix Pappalardi joue pour l’occasion ses classiques comme Mississippi Queen ou Open your heart. En première partie, on retrouve Mylon Lefevre (un protégé de Pappalardi) avec son groupe Holy smoke, qui compte parmi ses membres deux Montréalais (Marty Symon à la batterie et J.P. Lauzon à la guitare). Le maire Jean Drapeau est de passage sur le site et s’abstient de toute grimace, malgré son aversion connue pour la musique rock (la Gazette 21 juin 1971)
L’heure semble en effet au rock pour les plus jeunes. Ils sont généralement au rendez-vous les vendredis soirs sur la Place des Nations. Plusieurs passent par-dessus les clôtures ou les font carrément sauter afin d’entrer gratuitement. Terre des Hommes doit régulièrement faire appel à plus de cent policiers et agents de sécurité par spectacles. Le concert de Richie Havens attire une foule massive, entraînant des débordements de ce type. En première partie, Crowbar, de Toronto, qui offre une prestation rock énergique « qui fait danser la foule ». Havens peine par contre à briller sur scène. Le journaliste Juan Rodriguez le décrit même comme l’un des chanteurs « les plus ennuyeux et prétentieux de la scène actuelle » (Montreal Star, 14 juin 1971)
Le critique se montre également mitigé face au jazz de Lee Gagnon. Le 15 juin, ce dernier réussit pourtant à attirer une foule petite mais très enthousiaste au Kiosque international. Évoquant une performance « plaisante mais convenue », Rodriguez semble par ailleurs en quête de territoires inconnus puisqu’il qualifie également la prestation de Charlie Byrd de « prévisible, bien que réussie sur le plan technique ».
La venue de Herbie Hancock au Kiosque international ne passe pas inaperçue. Accompagné de son sextuor (Billy Hart à la batterie, Buster Williams à la basse, Eddie Henderson à la trompette, Bennie Maupin au saxophone et Julian Priester au trombone), il enthousiasme la foule avec son approche électrique, différente de ses premières contributions piano aux enregistrements de Miles Davis dans les années 1960. En première partie, le trio formé de Neilson Simon (guitare), de Charlie Biddle (bassiste) et de Normand Villeneuve (batterie) est également accueilli à bras ouverts. Ces brillants jazzmen montréalais présentent le set qu’ils font habituellement à la Bohême, six soirs par semaine, et qui inclut des pièces comme Summertime ou Listen here.
Dans le domaine de la musique rock de chez nous, le grand événement est sans contredit le Festival Pop, qui accueille Mashmakan, l’Infonie, Mahogany Rush, Hill, Expédition, Stein, Necessity et Cheeque. Le tout dure 12 heures et commence à midi, le 30 juin 1971. Petit retour sur la programmation détaillée, tel que décrite dans la Presse de l’époque :
– Midi à 13h – Stein : « le groupe le plus populaire de la Vieille Capitale ». L’ensemble comprend Richard Bruneau, Danny Jobidon (guitare) et Raynald Gagnon.
– 13h à 14h – Incubus : « pour leur coordination extraordinaire et la qualité de leur musique ». Le groupe inclut Léo England (batterie), Michel Phaneuf (claviers), André Deguire (guitare et voix) et Luc Giroux (basse).
– 14h à 15h – Ô Canabis : « on les dit graves et on juge leur son tight. L’excellent musicien Maurice Richard, qui a longtemps travaillé avec Robert Charlebois fait partie du groupe ».
– 15h à 16h – Necessity : « un son expérimental qui se gagnera bon nombre d’admirateurs ».
– 16h à 17h – Expédition : « Ils ont participé à tous les spectacles présentés dans les CEGEP et les polyvalentes. Un nouveau membre vient de se joindre au groupe, un organiste de génie qui sera la primeur de ce concert ». Le groupe est composé de Gilles Hamel (piano), Jean Millaire (guitare, futur membre de Corbeau), Jocelyn Lapierre (batterie), Pierre Bourdon (chant) et Richard Desaulniers (basse).
– 17h à 18h – Mahogany Rush : « Plusieurs connaisseurs voient en eux le son qui remplacera un jour celui du regretté Jimi Hendrix ». Le groupe comprend Jimmy Ayoub (batterie), Paul Harwood (basse) et Frank Marino (guitare et voix).
– 19h à 20h – Cheeque (avec des membres d’April Wine) : « Ils préfèrent le bon vieux R&B ». Le groupe inclut Brian Greenway (guitare), Gerry Wright (lead vocal), Lorne Nehring (batterie), Marc Fleur (guitare), Steve Lang (basse) et André (orgue).
– 20h à 21h – Wizard : « le plus heavy de tous les groupes montréalais ».
– 21h à 22h – Mashmakan : « un groupe montréalais qui jouit présentement d’une grande popularité en Amérique et au Japon et dont le second microsillon est en voie de fracsser tous les records de vente.
– 22h à 23h – Hill : « de tous les groupes montréalais, c’est celui que préfèrent les amateurs de musique underground.
– 23h à minuit – L’Infonie (avec Raoul Duguay et Walter Boudreau) : « ils ont accepté l’idée de ce festival « ben l’fun » avant leur séparation définitive. Après TDH, chacun des membres du groupe volera de ses propres ailes.
Terre des Hommes souhaite éviter un « flop » du type « Festival pop de Manseau ». La promotion est soutenue : « pour la première fois au Québec, les amateurs de musique pop pourront vivre une expérience unique et découvrir « chez eux » des groupes qui n’ont rien à envier à leurs voisins américains ». Le coût d’admission est de 1.50$. Au final, l’événement est un succès alors que plus de 25 000 personnes franchissent les tourniquets de la Place des Nations. Le tout se déroule dans « une atmosphère de détente et de joie de vivre » (Journal de Montréal, 2 juillet 1971). Le maire Drapeau lui-même se présente sur place, sans escorte, pour observer le déroulement du festival. Il se déclare satisfait devant « cette mer de jeunes qui s’amusent fermement mais dans le calme ». La chaleur est intense (35 degrés celsius) et le 12 heures de festival se transforme en véritable course d’endurance. En après-midi, les jeunes plongent spontanément dans les bassins pour se rafraîchir.
Pour le journaliste du Montreal Star présent, le groupe Incubus se démarque avec un son cohérent et incisif, « dans la lignée d’Iron Butterfly ». Mahogany Rush impressionne également par ses envolées « Hendrixiennes », mais se montre paradoxalement limité du fait de ces influences manifestes. Le journaliste est surtout enthousiaste face à la prestation du groupe Expédition, qui se montre à la fois talentueux et charismatique face à la foule présente. (Montreal star, 2 juillet 1971)
Mashmakan connaît pour sa part un début de prestation assez lent et les applaudissements sont mitigés. Le groupe finit toutefois par prendre son envol, obtenant même un rappel, une exception parmi tous les groupes présents. Wizard secoue la foule avec ses « riffs tights et lourds » alors que « le guitariste se donne des airs de Leslie West » (du groupe Mountain). De son côté, Hill « consent enfin à baisser son volume et donne une chance à la chanteuse de prouver ses possibilités » (Photo-vedette, 17 juillet 1971). En fin de soirée, la musique de L’Infonie, pourtant nettement plus avant-gardiste que celle des autres groupes présents, ne réussit qu’à vider la Place des Nations, C’est de toutes façons le chant du cygne pour le groupe de Walter Boudreau et Raoul Dugay. Au final, « Those who paid got more than their money’s worth ». (Montreal star, 2 juillet 1971).
Parmi les autres groupes québécois à se produire sur la Place des Nations cet été là, on note Jude 3, Souls of Inspyration, Sex, les Sinners, Uncle Tom Co., les Graduates, les Merceys, Cold Power, les Rembrandts, les Haunted et Someone.
Certains soirs amènent évidemment leurs excès. Lors du concert du groupe Mad Dog, une soixantaine d’adolescents sont ainsi soignés pour un « bad-trip ». Les jeunes ont consommé un mélange de hashish, de marijuana et de mandrax (distribué sous forme de pilule bleue).
Le 1er juillet 1971, Bing Crosby effectue une visite surprise au pavillon des États-Unis, accompagné du maire Jean Drapeau. Le célèbre chanteur et comédien américain voyage à Montréal afin de promouvoir la présentation Électrovision, intitulée « L’expérience de Bing Crosby aux îles Hawaii », projetée à l’ancien théâtre Laterna Magika, à la Ronde.
Du 1er au 4 juillet 1971, le chanteur québécois Marc Hamilton présente ses nouvelles chansons au Kiosque international, dont sa plus célèbre parue l’année d’avant (Comme j’ai toujours envie d’aimer). Le succès est mitigé, alors qu’il ne parvient pas à attirer plus de 200 spectateurs par représentation. Pourtant, la formule acoustique à trois guitares fonctionne : « les musiciens ont bien joué, Marc a donné un bon spectacle et sa voix était très juste » (Photo-vedette 17 juillet 1971). Hamilton poursuit alors une carrière solo entamée précédemment avec les groupes les Shadols, puis les Monstres. À l’été 1971, il est aux prises avec des contrats qui « l’empêchent de faire ce qu’il a envie de faire ». En entrevue, il déclare avoir des chansons prêtes « dans le style Crosby, Still, Nash & Young ». Ces pièces seront à la base de son album « Au fond des choses » (1972), un projet inachevé, qui sera boudé par les critiques et le public.
Le 3 juillet, le chanteur-siffleur britannique Roger Whittaker (dont les pièces Mon pays bleu et Un éléphant sur mon balcon sont parues les années précédentes) attire 5 700 spectateurs sur la Place des Nations. Il est accompagné par 15 musiciens, sous la direction de Léon Bernier. La foule présente lui réserve un accueil chaleureux.
La veille, le Paul Butterfield blues band attire une foule importante au même endroit. Le temps est froid et venteux et on allume ici et là des feux pour se réchauffer. Malgré tout, le public réagit avec enthousiasme à la musique offerte par les huit musiciens (4 cuivres, guitare, basse, batterie, chant et harmonica). En entrevue lors de son passage, Butterfield souligne l’union présente dans le groupe : « nous passons quatre ou cinq jours par semaine à pratiquer et les fins de semaine, nous sommes habituellement sur la route. Ce sont les plus beaux moments que nous avons ensemble ». (La Presse, juillet 1971)
Le 10 juillet, c’est au tour du grand artiste québécois Gilles Vigneault de se produire sur la Place des Nations. Revenu d’une tournée de 2 mois qui l’a conduit en France, en Belgique, en Suisse et au Luxembourg, le chanteur entame une série québécoise qui l’amènera à Joliette, Hull, Saint-Pierre de Wakefield, Trois-Pistoles, Val Brillant, Baie-Comeau et Québec. Le chanteur doit ensuite repartir en France et en Belgique. Malgré une foule un peu maigre, Vigneault livre un excellent spectacle qui rallie les personnes présentes, au point de leur faire crier maintes fois « Encore Vigneault! ». Il interprète de nombreuses chansons avec sa fougue habituelle, incluant Mon pays, entrecoupées de monologues et de longues mises en contexte. (Montreal Star 12 juillet 1971)
Au Kiosque international, Vic Vogel et son ensemble swing donnent un concert devant 300 spectateurs, en première partie de Gerry Mulligan. Parmi son groupe, de grands noms comme le saxophoniste tenor Russell Thomas, le trompettiste Herby Spanier ou le saxophoniste alto Leo Perron. Vogel impressionne comme toujours par sa polyvalence, alors qu’il oscille sans cesse entre la direction de l’ensemble, le trombone et le piano.
Toujours au Kiosque international, le spectacle de Claude Valade est un franc succès. La chanteuse québécoise (qui fait surtout carrière aux États-Unis) parvient à attirer 2 700 personnes et a droit à une ovation debout de la part de la foule enthousiaste. On doit même refuser des centaines de personnes au concert du samedi soir. En première partie, les Platters rencontrent surtout du succès auprès des « parents d’aujourd’hui ». Dans leurs costumes de velours roses, ils offrent une performance chorégraphiée à la hauteur de leur parcours, mais ancrée dans une nostalgie certaine (Montreal Star, 12 juillet 1971)
Le chanteur Tino Rossi vieillit mais continue d’occuper une position enviable dans les « best-sellers » de disques, malgré les années qui passent et le changement de générations. Il présente son spectacle à la Place des Nations le 14 juillet, accompagné de 30 musiciens et d’un chœur de chanteurs québécois. À son arrivée à Montréal, il est accueilli par le maire Jean Drapeau, avant de rencontrer la presse. Sur scène, le chanteur offre avec un plaisir évident une heure de succès anciens, incluant Le rêve passe, la Paloma, Marinella, le Plus beau tango du monde, Tant qu’il y aura des étoiles ou la chanson thème du film Love story. Il quitte la scène sous un tonnerre d’applaudissements.
L’un des spectacles importants de l’été 1971 est celui du groupe britannique Black Sabbath, tenu à la Place des Nations le vendredi 16 juillet. Le quatuor est à la veille de faire paraître son 3e album, Masters of reality. Près de 25 000 personnes vont répondre présent avec enthousiasme. Pour la première fois depuis le début des spectacles de l’été 1971, on a l’impression que la place est remplie à pleine capacité. Et le groupe joue fort, très fort, interprétant la plupart des pièces de ses deux premiers albums (incluant Paranoid) et quelques chansons du disque à paraître. Présent, le journaliste culturel René Homier-Roy ne semble toutefois guère impressionné : « Sur scène, les membres de Black Sabbath rappellent de façon un peu caricaturale les Stones d’une autre époque. Mais leur soliste, qui bouge mal et malencontreusement, n’arrive pas à la cheville d’un showman aussi étonnant que Mick Jagger. Ses mouvements se bornent d’ailleurs à souligner de façon « dramatique » et comme au crayon noir les accents plus intenses du texte ou de la musique. Qui l’un et l’autre s’en passeraient. » (La presse, 19 juillet 1971) Le journaliste de Photo-journal est plus enthousiaste mais note également : « ce sont des musiciens en retard. Ils persistent à croire aux formes musicales que les connaisseurs affirment en voie de disparition ». En première partie, les Montréalais de Cheeque donne un bon concert : « propre, tight et plein de vie ». (Photo journal, 31 juillet 1971)
Les quatre concerts de Pierre Lalonde au Kiosque international (du 15 au 18 juillet) rencontrent un vif succès, alors que 1 400 spectateurs se présentent chaque soir. On est obligé de refuser une foule de gens. Devant ses admiratrices conquises, le chanteur interprète notamment Louise, Ne t’en fais pas, Caroline, Le petit roi de Ferland, Let it be, Hey Jude, Ticket to ride et Get back des Beatles, ainsi que You’re nobody till somebody loves you (Russ Morgan, Dean Martin, etc.). La chanteuse Michèle Richard connaît également un vif succès la semaine suivante (plus de 2000 spectateurs pour les concerts du 22 au 25 juillet). Les fans se précipitent sur place, la réclament à grands cris, lui font des ovations presque à chaque chanson. Son spectacle efficace a été monté et arrangé par Maurice Baril, l’un des grands spécialistes dans le domaine à Montréal.
Le 17 juillet, le concert de la célèbre chanteuse Ann Margret à la Place des Nations déçoit. Connue pour ses « Specials » à la télévision américaine, l’artiste de music-hall attire seulement 3 000 personnes sur la Place des Nations. Le journaliste de Photo Journal se montre sévère : « Ann Margret n’était manifestement pas en forme car dès le début elle a éprouvé de sérieux problèmes vocaux ». (Photo journal, 26 juillet 1971)
Le géant du jazz Dizzy Gillespie donne deux spectacles au Kiosque international avec son sextuor, les 27 et 28 juillet. En première partie, les montréalais du Sadik Hakim Quintet. La soirée est un grand succès (700 spectateurs) et Dizzy Gillepsie offre une solide performance, entrecoupée de blagues et de quelques mots en français (« Vive le Canada libre! »). À un journaliste, il déclare avant le spectacle : “Jazz is always going forward and Montreal, man, Montreal used to be the place a few years ago”, déplorant que les montréalais “don’t get up here that often anymore”.
Le 31 juillet 1971, Le chanteur Paul Anka (qui fête son 30e anniversaire) présente un spectacle bien rôdé à la Place des Nations, devant 12 000 spectateurs. Professionnel jusqu’au bout, Anka a enregistré des chansons la nuit précédente avant de prendre l’avion vers Terre des Hommes en matinée. En conférence de presse à son arrivée, il part ensuite répéter avec l’orchestre de Lee Gagnon, avant de donner son spectacle le soir venu. Une véritable journée-marathon. Le matin, Paul Anka déclare en conférence de presse : « la plus grande joie de ma vie, ce fut le jour où mon impresario annonça que la Ville de Montréal m’offrait d’être en vedette à Terre des Hommes. Depuis toujours, moi, petit gars d’Ottawa, je rêvais de chanter à Montréal. Mon rêve se réalise ». Dans un article intitulé « Devrait-on assassiner les vieilles idoles? », l’éternel René Homier-Roy, après avoir relevé la qualité générale et l’efficacité du spectacle, ne peut s’empêcher d’écrire : « peut-être que la valeur et l’intérêt que présente l’auteur de tant de jolies chansons devrait nous faire oublier le peu de personnalité et d’intérêt du « crooner de confection » que Paul Anka est devenu ». (La Presse, 2 août 1971).
La chanteuse française Frida Boccara est fréquemment de passage à Montréal, ville qu’elle affectionne. Elle doit cette fois se produire au Kiosque international, du 5 au 8 août, avant de retourner à Paris où elle réside en partie. Lors de la conférence de presse, elle prend le temps de discuter avec le groupe rock québécois Dionysos, qui joue le même soir qu’elle sur la Place des Nations (spectacle qui sera d’ailleurs annulé à cause de la pluie diluvienne). Son spectacle est un succès, la salle est pleine et on doit refuser des gens à la porte. Chaque chanson est saluée par des applaudissements et des rires complices. Les musiciens qui l’accompagnent sont dirigés avec brio par François Dompierre.
Le célèbre chanteur français Léo Ferré attire près de 6 000 spectateurs lors de son passage à la Place des Nations, le 7 août. Accompagné par un pianiste (et une bande sonore), l’artiste est chaleureusement applaudi. Il termine son concert par un poème, qu’il « hurle et crache à la figure des bourgeois, les yeux exorbités, la main tranchante comme un fer de guillotine. Et cela se termine par un vers de quatre pieds : « je suis un chien! », hurlé avec la force de la colère ou du mépris. (…) Après avoir lancé à la face de ses admirateurs son « je suis un chien », le poète leur tourne le dos et s’en va en secouant sa crinière blanche. » (La Presse, 9 août 1971)
Dans un autre registre, le chanteur français Charles Trenet n’a pas donné de concert à Montréal depuis l’après-guerre. Autant dire que sa venue à la Place des Nations le 15 août constitue un événement de taille. Malgré une température froide et maussade, des milliers de personnes répondent à l’appel. Plusieurs artistes de chez nous se déplacent également en simples spectateurs, parmi lesquels Jean Lapointe, Claude Gauthier, Pierre Létourneau ou Jean Grimaldi. L’air heureux, élégant come à l’habitude, le « fou chantant » livre ses chansons avec une candeur attachante et gagne facilement le cœur du public. (Montréal-matin, 17 août 1971)
De retour de Londres, où elle a fait partie de l’émission « The world of music », la jeune chanteuse Ginette Reno attend un enfant pour le mois d’octobre. Les spectacles du 19 au 22 août au Kiosque international sont ses derniers avant sa maternité. Elle explique d’ailleurs en entrevue qu’elle a dû revoir ses toilettes pour l’occasion : « Y a plus rien qui me fait » (Le Petit journal, 11 juillet 1971). Sur scène, accompagnée de ses dix musiciens dirigés par Léon Bernier, Ginette Reno triomphe devant une salle pleine. Très à l’aise, elle descend même dans la salle et demande : « Est-ce qu’il y en a qui sont arrangés comme moi ici? ». Elle doit donner trois rappels en fin de spectacle.
La saison estivale ne peut se terminer avant la présentation de la revue Musicorama, organisée chaque année par les Productions Mutuelles. La version 1971 met en vedette Donald Lautrec, accompagné de 16 artistes. La tournée s’arrête sur la Place des Nations, le 21 août 1971. Le groupe L’Évolution, composé de huit musiciens, assure la première partie. 6 000 spectateurs se déplacent pour l’occasion. Le journaliste René Homier-Roy est sur place. L’Évolution? « Un bon groupe de musiciens, beaucoup plus efficaces en accompagnateurs qu’en solistes ». Nada? « Le monde du spectacle secrète bon an mal an un certain nombre de ces trouvailles que les feux des projecteurs ont tôt fait de brûler ». François et Liette? « Un peu niais mais musicalement convenable ». Steve Fiset? « Il chante toujours fort joliment ». Renée Martel? « Une des plus jolies voix chez nos chanteuses populaires ». Donald Lautrec? Il reçoit « un excellent accueil amplement mérité par la prestation très propre et très professionnelle » qu’il offre. (La Presse 23 août 1971)
Isabelle Pierre et Georges Guétary se produisent le lendemain à la Place des Nations, alors que 2 000 spectateurs sont présents. La chanteuse québécoise Isabelle Pierre charme avec sa voix magnifique, malgré une certaine difficulté à habiter la scène. Quant à Georges Guétary, ce vieux routier de la chanson française offre un spectacle « impeccablement monté et rondement mené » (La Presse 23 août 1971)
Au final, la saison musicale de Terre des Hommes aura été un franc succès à l’été 1971. Si la publicité insuffisante a causé l’insuccès de certains concerts, la plupart des 800 spectacles offerts auront atteint leur public. En moyenne, la saison 1971 c’est :
– Spectacles de jazz : 700 à 800 spectateurs payants par spectacle
– Festival lyrique : 300 spectateurs payants par spectacle
– Spectacles pop de la Place des Nations : 6 474 spectateurs payants par spectacle
– Spectacles de variété au Kiosque international : 610 spectateurs payants par spectacle
Les plus grands succès de l’été : Black Sabbath, Emerson Lake & Palmer et Ginette Reno
Les rendez-vous manqués : Marc Hamilton, Tex Lecor et le spectacle western.
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Plus de photographies :
Concerts à Terre des Hommes (1967-1971) : les artistes québécois et canadiens (158 photos)
Concerts à Terre des Hommes (1968-1971) : les artistes internationaux (182 photos)
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Les sources / Pour en savoir plus :
Reportages photographies à Terre des Hommes (1968-1978)
VM166-D23555-1-1 : Terre des Hommes – Activités : Spectacles – Festival d’été. – 1967-1968
VM166-D23555-1-A : Terre des Hommes – Activités : Spectacles – Général. – 1970
VM166-D23555-1-A : Terre des Hommes – Activités : Spectacles – Général. – Septembre 1971 – 1973
Merci à Sébastien Desrosiers et à Yves Monast, qui ont aidé à identifier certains groupes sur les photos.
Bonjour,
Auriez-vous les affiches des concerts de Robert CHARLEBOIS à la Place des Nations de 1969 à 1971 ?
Merci !
Bonjour, elles ne se trouvaient malheureusement pas dans les archives préservées. Bonne journée!
Thank you for posting this information. I’m researching the Allman Brothers Band concert from September 3, 1971 and was happy to see that article. I would love to see any other photos. Please contact me at the email address listed. Merci!
Je crois fermement qu’une erreur s’est glissée en ce qui a trait à la soirée du spectacle de BLACK SABBATH du Vendredi 16 juillet 1971 (car j’y étais, 1ère rangée, assis par terre, devant Ozzy !). Ce n’est pas Cheeque (du Festival Pop du 30 juin 1971) qui a fait la première partie, mais bien Black Oak Arkansas. BOA ont fait la première partie de Black Sabbath ce vendredi et durant toute cette première tournée mondiale avec eux. Quelques temps après ce spectacle, je me souviens, avoir acheté le 1er album vinyl de ce moins connu mais excellent groupe qu’est Black Oak Arkansas (chanteur Jim « Dandy » Mangrum). Merci de corriger cette erreur.