Une collaboration spéciale de David-Marc Newman, stagiaire aux archives historiques de la Ville de Montréal.
En 2021, les Archives de la Ville de Montréal acquièrent le fonds d’archives de Robert Millet (P179). Ce n’est peut-être pas un nom qui vous est familier, mais Robert Millet participe tout au long de sa vie à des événements marquants de l’histoire artistique, sociale et politique du Québec. S’il n’est pas aussi connu qu’un Paul-Émile Borduas, qu’un Michel Chartrand ou qu’un Robert Charlebois, il gravite dans la même sphère qu’eux et, comme photographe, les capte sur pellicule, de même que de nombreuses autres personnalités ayant marqué le Québec.
Qui est Robert Millet?
Né le 16 janvier 1934 à Montréal et mort le 17 mars 2021 à Sherbrooke, Robert Millet est artiste, photographe, cinéaste, journaliste, militant et d’une certaine façon, homme politique. Il vit simultanément plusieurs vies : l’artiste-photographe d’avant-garde et organisateur d’expositions produit des photogrammes et des films expérimentaux; le journaliste et photographe de presse documente (entre autres) le milieu artistique dans les pages de journaux et de périodiques; le cinéaste réalise des films documentaires et produit des films pédagogiques pour le ministère de l’Éducation; le militant syndicaliste et partisan politique participe à la fondation de deux partis politiques en 1963, soit le Parti socialiste du Québec, né de la scission du NPD Québec, avec le syndicaliste Michel Chartrand, au provincial, et le Parti Rhinocéros (au sein duquel il est connu comme Bagnolet), parti satirique qu’il fonde avec son ami Jacques Ferron, au fédéral.
Que trouve-t-on dans ce fonds?
Le Fonds Robert Millet a actuellement fait l’objet d’un traitement sommaire, un traitement plus approfondi se poursuivra et nous permettra d’en connaître d’avantage. Nous pouvons toutefois déjà constater toute sa richesse, entre autres, dans les dizaines de milliers de photographies (épreuves, négatifs et diapositives) qu’on y retrouve. Celles-ci sont parfois personnelles, parfois professionnelles, parfois documentaires, parfois artistiques et les sujets y sont d’une variété surprenante : scènes de rues, portraits de passeport, congrès syndicaux, d’associations ou de rassemblements politiques (on y trouve, par exemple, des photographies du premier ministre Jean Lesage, du chef du Mouvement Souveraineté-Association René Lévesque et de Tommy Douglas, chef du NPD). Une importante proportion des photographies montrent des œuvres artistiques ou des artistes eux-mêmes.
Il est peu étonnant qu’on trouve dans le fonds une collection de journaux, qui comprend des ébauches d’articles révisées et des photographies de presse publiées dans le Nouveau Journal (1961-62). On y retrouve également, des documents audiovisuels, dont des bandes sonores de l’émission sur le cinéma, Images en tête, de Radio-Canada, pour laquelle il est scénariste, et plus d’une vingtaine de bobines de film (principalement des films documentaires), dont un court métrage sur la grève de Murdochville, réalisé en 1957 par M. Millet pour le syndicat des Métallurgistes unis d’Amérique. Le fonds comprend d’ailleurs des dossiers entiers consacrés à ce film et à cette grève, qui demeure un événement marquant dans l’histoire sociale du Québec, l’un des actes constitutifs du mouvement syndical moderne et un événement précurseur de la Révolution tranquille. On retrouve également des films consacrés aux artistes, comme un court métrage réalisé en 1958 dans l’atelier de Borduas à Paris.
Le fonds comprend également une collection d’affiches; il s’agit notamment d’affiches d’expositions d’artistes comme Marcel Barbeau et Claude Tousignant, mais on retrouve aussi deux affiches électorales de Robert Charlebois pour le Parti Rhinocéros en 1968 et de Jacques Ferron pour le Rassemblement pour l’Indépendance nationale en 1966. Dans chacune des affiches, on observe l’utilisation d’une photographie prise par Robert Millet.
Témoin d’une scène artistique moderne à Montréal
Robert Millet est passionné par les arts visuels. Dans les années 1950, il existe à Montréal une scène artistique d’avant-garde, bouillonnante d’énergie, qui peut rivaliser avec New York et Paris. Il y a d’une part les peintres et sculpteurs plus établis du mouvement Automatiste et du Refus global, et, d’autre part, les plus jeunes, dont les Plasticiens qui leur succèdent. L’art de Robert Millet, c’est la photographie. Au cours des décennies à venir, il capture sur film toute une génération d’artistes, de sculpteurs, de photographes, de cinéastes, de musiciens et de littéraires – certains déjà connus, d’autres à la veille de le devenir et d’autres qui ont été oubliés.
Avant même d’avoir atteint ses 20 ans, Robert Millet organise ses premières expositions de photo. Il accorde aux aspects esthétiques, et principalement à la composition, une place centrale, plutôt qu’au sujet : « Il faut faire abstraction du dramatique et ne s’en tenir qu’à la valeur plastique de la photo. Car n’oubliez pas que la valeur plastique suffit à elle-même », dit-il au journal Photo-journal du 9 mars 1957. Les expositions qu’il organise mettent en vedette ses amis, dont les artistes Jean-Paul Mousseau, Rodolphe de Repentigny (Jauran) et Gordon Webber, ainsi que les futurs cinéastes Michel Brault et Guy Borremans; il partage même un appartement à Montréal avec ce dernier qui leur sert d’atelier.
L’art abstrait n’est pas toujours le bienvenu à Montréal et les espaces d’exposition ne sont pas nombreux à l’accueillir. En 1956, une vingtaine d’artistes dont Jauran, Fernand Leduc, Ulysse Comtois, Pierre Gauvreau, Rita Letendre, Guido Molinari, Jean-Paul Jérôme, Louis Belzile et Roland Giguère, fonde l’Association des artistes non figuratifs afin de leur donner « une participation équitable des peintres, graveurs et sculpteurs non figuratifs de la région de Montréal aux manifestations et activités artistiques ». D’autres artistes s’y rattachent, et Robert Millet fait partie des exposants lors de la première exposition au Restaurant Hélène-de-Champlain en février 1956.
Dans les années 1950, le café-restaurant L’Échouerie devient un important lieu de rencontre pour les Automatistes et les jeunes artistes. Ce lieu est d’ailleurs la scène d’un tournage documentaire de l’Office national du Film produit pour la télévision en 1954 : « Artiste à Montréal », réalisé par Jean Palardy. Robert Millet est présent et prend des photographies qui nous donnent non seulement un témoignage supplémentaire de l’événement en question, mais également un aperçu privilégié d’un tournage derrière la caméra. Malgré une apparence de prises de vue spontanées dans le documentaire, on aperçoit sur les photos, caméras, éclairages et micros bien installés d’avance. Vous trouverez le lien vers le film (en anglais, sous-titres français) de l’ONF à la fin de cet article.
Expositions
L’art vit dans les expositions et un grand nombre de photographies montrent des vernissages ou d’autres expositions d’art. À partir de 1953, il est présent à de nombreuses manifestations incluant, par exemple, « La matière chante » des artistes Paul-Émile Borduas, Pierre Gauvreau, Jean-Paul Riopelle, Jean-Paul Moussesau, Rita Letendre et Fernand Leduc à la galerie Antoine. Il est également présent à la librairie Tranquille, à la galerie Agnès Lafont, au Musée des Beaux-Arts et souvent, à l’Actuelle, une galerie fondée par Guido Molinari et sa première femme, l’écrivaine et intellectuelle Fernande Saint-Martin en 1955, afin de donner un espace d’exposition aux artistes non figuratifs. Robert Millet organise lui-même des expositions de photographie en 1955 et en 1957 à l’Actuelle.
En toute intimité
Nous retrouvons également des photographies plus intimes dans ce fonds, qui humanisent les artistes en les replaçant dans leur atelier, dans leur demeure ou dans la rue : une photo de Molinari dans un autobus, de Rita Letendre qui prend un verre lors d’une soirée, de Robert Blair penché sur sa table de travail, de Paterson Ewen avec l’un de ses fils chez lui, et bien d’autres. Ces photographies, même plus que les précédentes, démontrent le talent de photographe de Robert Millet. Les contrastes, le cadrage, les différents plans qui donnent à ses photos une profondeur, une valeur esthétique et artistique qui s’ajoute à leur valeur documentaire et de témoignage.
Il y a plus…
Les photographies publiées dans ce billet ne représentent qu’une fraction de l’album mis en ligne sur Flickr, qui lui-même, ne constitue qu’une portion infime des photographies comprises dans le fonds. Celui-ci est d’une richesse telle que l’on pourrait passer des années à le consulter.
Vous pouvez prendre connaissance des autres images numérisées du fonds en consultant l’album en cliquant le lien ci-dessous. On y retrouve plusieurs photos d’intérêt, documentant notamment la visite de Georges Brassens à Montréal en 1961, la création de la verrière du métro Champ-de-Mars par Marcelle Ferron en 1966, ou la production de l’Osstidcho avec Robert Charlebois, Mouffe, Louise Forestier et Yvon Deschamps en 1968.
Album Flickr : https://www.flickr.com/photos/archivesmontreal/albums/72177720299671022
Sources/Pour en savoir plus
Fonds Robert Millet. – [195?]-2018. Archives de la Ville de Montréal. https://archivesdemontreal.ica-atom.org/fonds-robert-millet-195-2018
Jean Palardy, « Artiste à Montréal », Office national du Film du Canada, 1954, 29 min. https://www.onf.ca/film/artiste_a_montreal/
Sandra Paikowsky, « L’Association des Artistes Non Figuratifs de Montréal / The Non-Figurative Artists Association of Montreal » Vie des arts, été 1981, vol. 26 num. 103, p. 29–78. https://www.erudit.org/fr/revues/va/1966-n44-va1201523/58360ac.pdf
John Pohl, « Visual Arts : Molinari Foundation conjures moment in history of avant-garde art », Montreal Gazette, 10 mars 2016. https://montrealgazette.com/entertainment/arts/visual-arts-molinari-foundation-conjures-moment-in-history-of-avant-garde-art
Association des artistes non-figuratifs de Montréal « Deuxième exposition annuelle – Second Annual Show », 1957. Repéré à https://jeanpauljerome.com/app/uploads/2019/11/association-des-artistes-non-figuratifs-du-quebec.pdf
Jean Bouthillette « Le sujet n’est qu’un matériau », Photo-journal, 9 mars 1957. Repéré à https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3542616
Quel magnifique Fonds de photographies de Robert Millet que vous avez! J’aimerais pouvoir intégrer quelques photos à notre projet CARTOGRAPHIE DES AUTOMATISTES financé en partie par la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec, Entente de développement culturel, programme Patrimoines montréalais. https://www.ciac.ca
À qui devrais-je m’adresser?
Je vous remercie. Bonne journée.
Claude Gosselin, C.M.
Directeur général et artistique
Centre international d’art contemporain de Montréal
514 288 0811
Bonjour M. Gosselin, vous pouvez nous écrire à l’adresse [email protected] (https://archivesdemontreal.com/nous-joindre/)
Bien cordialement.