Bâtisseuses de la Cité 2015 : Idola Saint-Jean

À chaque année, depuis 2011, et ce jusqu’en 2017, année du 375e anniversaire de Montréal, des Montréalaises sont honorées pour leur contribution remarquable au développement de Montréal. Cette année, en 2015, deux femmes ayant lutté pour les droits de la femme sont mises à l’honneur : Idola Saint-Jean et Léa Cousineau.

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Idola Saint-Jean est surtout connue pour sa lutte pour le suffrage féminin au Québec. Afin de souligner sa nomination comme Bâtisseuse de la cité, nous avons numérisé et mis en ligne le fonds d’archives la concernant. Il comprend principalement de la correspondance reçue et est accessible via notre catalogue en ligne à l’adresse suivante : https://archivesdemontreal.ica-atom.org/fonds-idola-saint-jean-190-1958.

Même si le fonds contient en majorité de la correspondance reçue, la lecture de cette correspondance nous permet de nous rapprocher de la vie d’Idola Saint-Jean et surtout, de ses idées par ses conversations intimes. On ne parle pas ici de voyeurisme puisque, outre quelques lettres d’amis et une proposition de mariage, il est surtout question de ses relations professionnelles. Vous en retrouverez quelques extraits tout au long de cette courte biographie.

Un amour du théâtre et de la littérature française

Dans sa jeunesse, Idola Saint-Jean ne se démarque pas comme féministe, mais bien comme actrice. Elle étudie d’ailleurs en France auprès de Constant Coquelin. Elle est reconnue pour son jeu sensible, pour sa douce voix cristalline et pour sa diction impeccable. Elle s’intéresse également à la littérature française et s’adonne à la poésie. Cette passion pour la langue française lui permettra de donner des cours de diction et de français à l’Université McGill ainsi qu’à la Société Saint-Jean-Baptiste. De plus, cette connaissance de l’art oratoire et de l’écriture lui sera grandement utile dans le cadre de ses fonctions de militante.

Recueil de textes d'Idola Saint-Jean, entre 1910 et 1940, BM102_09.

Recueil de textes d’Idola Saint-Jean, entre 1910 et 1940, BM102_09.

Femme moderne et urbaine

Quoique de plus en plus de femmes soient salariées depuis la Première Guerre mondiale et que le nombre d’enfants par famille diminue, Idola Saint-Jean se fait également remarquer par son style de vie de célibataire. Ses emplois lui permettent notamment d’être autonome financièrement, ce qui la distingue de ses collègues suffragettes. Cette distinction joue souvent contre elle : ses opposants la citent en exemple pour démontrer que la femme émancipée, sans enfants et sans mari, détruit la conception de la famille qui est alors encore grandement valorisée.

Pour Idola Saint-Jean, la ville est un milieu vivant qui permet davantage d’échanger et de véhiculer les idées que la campagne. Elle collabore avec des féministes autant anglophones que francophones. Elle est également très ouverte sur le monde. Elle correspond avec des Américains, des Français et des Canadiens-anglais. De plus, lors des élections fédérales de 1930, elle distribue des tracts électoraux en trois langues : français, anglais et italien.

Dépliant électoral de Idola Saint-Jean, 1930, BM102_14.

Dépliant électoral d’Idola Saint-Jean, 1930, BM102_14.

Suffrage féminin et droits des femmes

À l’Université McGill, Idola Saint-Jean côtoie Carrie Derick, la première femme à devenir professeur dans une université canadienne. Cette dernière milite activement dans la Montreal Suffrage Association. Elle en sera même la présidente entre 1913 et 1919. C’est avec cette association qu’Idola Saint-Jean débute sa carrière de militante active.

Suite à la décision du gouvernement fédéral d’accorder le droit de vote aux femmes en 1918, plusieurs femmes québécoises sentent la nécessité de créer un comité pour faire davantage pression au niveau provincial. C’est alors qu’est créé le Comité provincial pour le suffrage féminin, Marie Gérin-Lajoie et Anna Lyman en tête. Idola Saint-Jean et Thérèse Casgrain y sont très actives.

En 1927, Idola Saint-Jean crée l’Alliance canadienne pour le droit de vote des femmes du Québec. Elle s’impatiente du statut quo du Comité provincial du suffrage féminin suite à la démission de Marie Gérin-Lajoie comme co-présidente. Thérèse Casgrain relancera finalement ce comité, qui deviendra en 1929 la Ligue des droits de la femme. Bien qu’aillant des champs d’actions différents, les deux dames et leur association respective travailleront en étroite collaboration pour faire face à leurs opposants.

À créant cette nouvelle association, Idola Saint-Jean souhaite établir un meilleur contact avec la population pour diffuser ses idées et son argumentaire. Pour atteindre cet objectif, l’Alliance publiait la revue La Sphère féminine (écrite en majeure partie par Idola Saint-Jean elle-même). Elle effectue son travail de sensibilisation à titre individuel. En 1929, Idola Saint-Jean écrit également une chronique par semaine au sujet de la place de la femme dans la société, se basant sur des lois et des articles du Code civil.

Annonce de la chronique d'Idola Saint-Jean dans le Montreal Herald, vers 1929, BM102_08.

Annonce de la chronique d’Idola Saint-Jean dans le Montreal Herald, vers 1929, BM102_08.

En 1930, elle devient la première québécoise à se présenter aux élections fédérales. Elle se présente comme candidate libérale indépendante dans Montréal-Dorion-Saint-Denis. Tout en étant réaliste quant à ses chances de l’emporter, elle utilise cette plateforme pour faire la promotion de ses idées. Finalement, à partir de 1932, elle réalise des chroniques aux stations de radio CHLP et CKAC. Une de ses émissions, bilingue, s’intitule L’Actualité féminine ou Feminine actuality.

Discours radiodiffusé d'Idola Saint-Jean, vers 1931. BM102_08.

Discours radiodiffusé d’Idola Saint-Jean, vers 1931. BM102_08.

D’après la correspondance qu’elle recevait, elle réussissait très bien son objectif de sensibilisation. Au fil des ans, elle devient une véritable source d’informations sur l’actualité et l’histoire de la lutte pour le droit de vote. De nombreuses lettres, provenant autant de femmes en région, de femmes en ville ou encore d’universitaires, font l’objet de demandes d’informations. Certaines sont adressées à l’Alliance, mais plusieurs lui sont adressées personnellement.

Lettre de Patricia Ling à Idola Saint-Jean, 7 février 1935, BM102_03.

Lettre de Patricia Ling à Idola Saint-Jean, 7 février 1935, BM102_03.

Lettre de Jean-Jacques Tremblay à Idola Saint-Jean, 4 février 1937. BM102_05.

Lettre de Jean-Jacques Tremblay à Idola Saint-Jean, 4 février 1937. BM102_05.

Lettre de Idola Saint-Jean à madame Hermance Roy, 25 novembre 1935. BM102_03

Lettre de Idola Saint-Jean à madame Hermance Roy, 25 novembre 1935. BM102_03

De plus, comme le nom de l’association l’indique, elle cherche à obtenir l’appui d’autres associations à travers le Canada, ainsi que d’autres politiciens. N’oublions pas que les femmes de toutes les provinces du Canada ont le droit de vote en 1922, sauf les Québécoises.

Lettre de A.M. Mackay de la Saskatchewan à Idola Saint-Jean, 5 mars 1934, BM102_02.

Lettre de A.M. Mackay de la Saskatchewan à Idola Saint-Jean, 5 mars 1934, BM102_02.

Outre le droit de vote, elle lutte pour d’autres causes concernant les droits de la femme, notamment pour l’acceptation des femmes au Barreau du Québec. En 1914, Anne Langstaff force le Barreau à se pencher sur la question en faisant une demande d’admission. Sa demande est rejetée et cette dernière défend sa cause jusqu’à la Cour supérieure. Sans résultat positif. Malgré sa détermination et l’appui de ses consœurs, elle ne pourra pratiquer comme avocate, car ce n’est qu’en 1941 que les femmes obtiennent l’autorisation d’être admises au Barreau du Québec, et ce n’est qu’en 1942 qu’Elizabeth C. Monk devient la première femme admise.

Lutte sociale inclusive

Diane Lamoureux, dans Ces femmes qui ont bâti Montréal, décrit très bien l’idée que se fait Idola Saint-Jean de l’implication sociale : « Si elle consacre tant d’énergies à l’obtention du suffrage féminin aux paliers municipal et provincial, c’est parce qu’Idola Saint-Jean est convaincue de l’importance d’un système politique démocratique qui inclut l’ensemble des composantes du corps social et qui permet aux divers groupes défavorisés – dont les femmes – d’obtenir justice et d’améliorer leur situation. Le droit de vote ne lui apparaît donc pas comme une fin en soi, mais plutôt comme le moyen privilégié pour obtenir l’égalité juridique, des politiques sociales ou encore la libre disposition de son revenu. »

Elle s’implique également dans diverses sociétés de bienfaisance, dont le comité catholique de la Cour juvénile de Montréal et la Société d’aide aux enfants catholiques, où elle est secrétaire en 1924-1925. Elle participe également à la lutte contre la grippe espagnole en 1918. Elle reçoit également plusieurs lettre de chômeurs durant les années trente, notamment suite à une émission de radio où elle offrait, semble-t-il, des vêtements aux plus démunis.

Procès-verbaux de la Société d'aide aux enfants catholiques. 1924-1925. BM102_13.

Procès-verbaux de la Société d’aide aux enfants catholiques. 1924-1925. BM102_13.

À un niveau plus personnel, elle adopte une fillette noire devenue orpheline durant la pandémie de grippe espagnole. Malheureusement, cette dernière décède au début des années 1920.

Passionnée, généreuse et dévouée

Il est difficile de rendre hommage à une femme qui est devenue un des symboles d’une lutte aussi populaire et importante que celle pour le droit de vote de la femme. En lisant plusieurs documents de son fonds d’archives et plusieurs articles à son sujet, je me suis prise d’affection pour cette femme déterminée. J’ai trouvé son argumentaire sur les droits de la femme sensible et étonnamment intemporel. Sa description du rôle de la femme est celle d’une femme impliquée dans sa société, constamment soucieuse du bien-être de ses concitoyens. Idola Saint-Jean, en plus d’incarner la suffragette exemplaire, incarne désormais pour moi un exemple à suivre d’activiste défenderesse de justice sociale.

Idola Saint-Jean, années 1920, BM005-2_13.

Idola Saint-Jean, années 1920, BM005-2_13.

Pour un portrait encore plus complet d’Idola Saint-Jean, consultez l’article en ligne de Gilles Gallichan en page 16 du Bulletin, vol. 39, no 1 de la bibliothèque de l’Assemblée nationale disponible à l’adresse suivante : https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/01/PER/811681/2010/Vol_39_no_1_%28printemps_2010%29.pdf. La section Portrait d’une militante est particulièrement intéressante.

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Un album photo concernant les Bâtisseuses de la cité 2015, Idola Saint-Jean et Léa Cousineau est accessible à l’adresse suivante : https://www.flickr.com/photos/archivesmontreal/sets/72157651286390455/

Pour en savoir plus sur la place des femmes en politique municipale et sur l’histoire du droit de vote, consultez notre article à l’adresse suivante : https://archivesdemontreal.com/?p=8322.

De plus, suivez les commémorations du 75e anniversaire du droit de vote des Québécoises sur les médias sociaux en utilisant #75Printemps. Nous continuerons à publier photos et articles à ce sujet d’ici le 25 avril prochain.

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1 réponse à Bâtisseuses de la Cité 2015 : Idola Saint-Jean

  1. Muguette Marion dit :

    Très intéressant cet article je ne connaissais pas Idola St Jean et j’avoue que tout cela a créé en moi une soif d’en savoir davantage sur cette femme extraordinaire

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