La circulation à Montréal et la construction de la voie Camillien-Houde dans le parc du Mont-Royal (1950-1958)

Une collaboration spéciale de Marcela Aranguiz, stagiaire à la Section des archives.

Dans la mesure où la voie Camillien-Houde est un sujet très discuté ces jours-ci, nous avons cru qu’il serait intéressant de nous attarder brièvement sur les raisons qui ont mené à l’inauguration de cette route en 1958, ainsi que sur les divers débats qui ont eu lieu à cette époque concernant l’accès des automobiles à la montagne.

Le parc du mont Royal est inauguré en 1876. Élaboré d’après les plans de Frederick Law Olmsted, il est conçu comme un lieu dans lequel les usagers peuvent parcourir la montagne par une ascension lente et graduelle qui permet d’apprécier la beauté des divers paysages. D’après les instructions d’Olmsted, les visiteurs pourront facilement accéder à ces lieux à pied, en calèche et même en chaise roulante.

Plan d’aménagement de Frederic Law Olmsted pour le parc du Mont-Royal. - 1877. VM105-Y-1_0756-01. Archives de la ville de Montréal

Plan d’aménagement de Frederic Law Olmsted pour le parc du Mont-Royal. – 1877. VM105-Y-1_0756-01. Archives de la ville de Montréal

Extrait d’une carte compagnie des tramways de Montréal montrant le parcours des lignes 11 et 93 sur la montagne. - Novembre 1940. VM066-6-P060. Archives de la Ville de Montréal.

Extrait d’une carte compagnie des tramways de Montréal montrant le parcours des lignes 11 et 93 sur la montagne. – Novembre 1940. VM066-6-P060. Archives de la Ville de Montréal.

Olmsted s’oppose toutefois à toute forme d’ascension rapide dans le parc que ce soit par l’utilisation d’un tramway ou d’un funiculaire.  Malgré ces prescriptions, les autorités de la ville permettront éventuellement l’installation d’un funiculaire qui sera en opération entre 1885 et 1919. Puis, à partir de 1930, le tramway no 11 y est instauré. Celui-ci parcourt une section de la montagne, à partir du coin des avenues du Parc et du Mont-Royal et s’arrête devant la maison Smith, rejoignant le tramway no 93 qui emprunte le chemin Rememberance et ensuite le chemin de la Côte-des-Neiges.

Bien que les premières voitures motorisées aient été visibles dans la ville à partir des années 1900 et 1910, la montagne leur restera inaccessible durant encore plusieurs décennies, sauf lors d’occasions spéciales et avec la permission des autorités municipales. Cette interdiction est cependant de plus en plus remise en question à partir des années 1930 et tout particulièrement après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, alors que la question de la circulation automobile devient un enjeu important au sein de la ville.

Le problème de la circulation

L’augmentation du parc automobile dans les années d’après-guerre, le développement des banlieues, ainsi que l’essor du secteur tertiaire dont les emplois tendent à être concentrés au centre-ville sont quelques-uns des phénomènes qui ont pour effet d’accroître la circulation dans les grandes villes nord-américaines à partir des années 1940. Ce problème devient un sujet de plus en plus discuté sur diverses tribunes et une préoccupation croissante pour les autorités, surtout au niveau municipal. À Montréal, cette question est également débattue, surtout à partir de 1954, alors que Jean Drapeau prend le pouvoir à la mairie.

Le nouveau maire conçoit le problème de la circulation comme un enjeu fondamental et déterminant afin d’assurer le maintien de Montréal en tant que métropole du Canada. Pour s’occuper de cette question, l’administration Drapeau crée, moins d’un an après son arrivée au pouvoir, le Service de circulation, instance dont l’objectif est de voir aux questions reliées à l’aménagement, la sécurité et la réglementation de la circulation dans la ville. De plus, un plan d’ensemble est développé qui comprend la mise en place d’un réseau routier efficace, l’adaptation des infrastructures déjà existantes aux nouveaux besoins de la ville et la création d’un système de transport en commun moderne qui inclut un réseau d’autobus et le métro.

Coin des rues du Mont-Royal et du Parc, lieu de départ du tramway no. 11 à l’entrée du parc du Mont-Royal au début des années 1950. VM94-U0739-009. Archives de la Ville de Montréal.

Coin des rues du Mont-Royal et du Parc, lieu de départ du tramway no. 11 à l’entrée du parc du Mont-Royal au début des années 1950. VM94-U0739-009. Archives de la Ville de Montréal.

Dans un contexte où l’enjeu de la circulation est perçu comme prioritaire, la présence du mont Royal pose un problème particulier pour les autorités municipales. La montagne est vue comme une entrave pour la circulation vers le centre-ville. Cette situation est entre autres, exprimée en 1949, par le conseiller Joseph-Marie Savignac:

(…) la montagne située au beau milieu de la ville, constitue un handicap à la circulation est-ouest et vice-versa et il n’existe aucun autre moyen de traverser la ville sauf par la rue Sherbrooke, au sud, et par le chemin de la Côte-Sainte-Catherine au nord.

Cette opinion sera également partagée par Jean Drapeau, pour qui la montagne « ne doit pas être un obstacle à la circulation, ne doit pas constituer un rideau de pierre qui isole la partie nord du reste de la ville ». De plus, pour ce dernier, le fait de permettre la circulation à travers le mont Royal constitue une innovation qui ne pourra qu’être appréciée par les générations futures:

Il n’y a aucun doute que dans 50 ou 100 ans, les Montréalais d’alors s’étonneront que ceux de 1955, pour se déplacer faisaient le tour de la montagne au lieu de passer par-dessus ou par-dessous.

Entrée du parc du Mont-Royal au coin des chemins de la Côte-des-Neiges et Rememberance au début des années 1950. VM094-U0739-026. Archives de la Ville de Montréal.

Entrée du parc du Mont-Royal au coin des chemins de la Côte-des-Neiges et Rememberance au début des années 1950. VM094-U0739-026. Archives de la Ville de Montréal.

Au cours des années 1950, deux solutions seront envisagées pour permettre la circulation à travers la montagne. La première consiste en la mise en place d’une route permettant de traverser le parc et qui suivrait le tracé du tramway qui serait éventuellement retiré. La seconde comprend la construction d’un réseau de tunnels à travers la montagne qui reliraient le centre-ville avec les quartiers situés au nord. Dans les faits, la construction d’un tunnel sous le mont Royal avait été envisagée dès la fin des années 1930, sans toutefois que le projet se concrétise. En 1950, cette solution est toutefois reprise par Pierre DesMarais, chef du Conseil de ville, qui propose la construction non pas d’un, mais de deux tunnels. Un premier tunnel qui partirait de l’avenue du Parc, près de la rue Duluth et qui aboutirait au chemin de la Côte-des-Neiges. Puis, un second tunnel qui ferait un parcours nord-sud en partant de la rue Atwater et aboutirait près de la sortie du tunnel ferroviaire du Canadien National qui se dirige vers la Ville de Mont-Royal. De plus, ces deux tunnels se croiseraient dans un rond-point situé au centre de la montagne. Le coût estimé du projet sera 5 000 000$. Finalement, celui-ci sera jugé coûteux et trop complexe à réaliser et sera éventuellement abandonné, au profit de la création d’une route.

Plan des deux tunnels proposés sous le mont Royal. Image tiré d'un article du journal La Patrie du 26 mars 1950.

Plan des deux tunnels
proposés sous le mont Royal. Image tirée d’un article du journal La Patrie du 26 mars 1950.

Parallèlement aux diverses discussions sur les questions de circulation sur la montagne, d’autres débats concernant le futur du mont Royal ont également lieu durant cette période. Pour certains membres des autorités municipales et commentateurs de l’époque, la montagne est perçue comme un lieu devenu insalubre, dont les installations ne correspondent plus à ceux d’un parc au sein d’une ville moderne. Aussi, le fait que certains « actes immoraux » semblent s’y dérouler durant la nuit est une question qui préoccupe également la Ville. Dans un tel contexte, un réaménagement global du parc est perçu comme une nécessité. En 1954, Claude Robillard, alors directeur du Service des parcs de la Ville, fait appel à la firme d’architectes new-yorkaise dirigée par Gilmore D. Clarke et Michael Rapuano, afin de développer un vaste plan d’ensemble pour voir à la modernisation du parc du Mont-Royal et étudier la question de l’accessibilité des voitures sur la montagne.

Rails du tramway à l’entrée du mont Royal au début des années 1950. VM94-U0739-017. Archives de la Ville de Montréal

Rails du tramway à l’entrée du parc du Mont-Royal, coin des rues du Parc et du Mont-Royal, au début des années 1950. VM94-U0739-017. Archives de la Ville de Montréal


Le plan développé par Clarke et Rapuano est déposé en 1959 et comprend l’ajout de plusieurs éléments dans le parc qui visent à la fois à le rendre plus accessible au public et plus sécuritaire, tout en préservant sa beauté naturelle. À cet effet, la firme propose la construction de plusieurs nouvelles installations, comme deux théâtres à ciel ouvert, un musée géologique, diverses aires de repos, des courts de tennis, une patinoire intérieure, des chemins accessibles aux piétons, des routes réservées aux calèches, ainsi qu’un poste de police. Une importante partie du plan est également dédié à la question de la circulation automobile. Clarke et Rapuano proposent la création de deux routes qui permettraient de séparer le trafic allant en direction opposée. Les véhicules se dirigeant vers le sud à partir du chemin de la Côte-des-Neiges emprunteraient une voie qui suivrait le chemin déjà tracé par le tramway. Tandis que les voitures roulant vers le nord transiteraient par une route suivant le chemin tracé pour les calèches lors de la création du parc (l’actuel chemin Olmsted). Pour Clarke et Rapuano, ces deux grandes voies ne sont pas tant des routes de transit que des chemins de plaisance qui seraient dotés de plusieurs aires de stationnement situées à proximité de divers points d’intérêt à travers la montagne.

Vue aérienne de l’entrée du parc du Mont-Royal au coin des rues du Parc et du Mont-Royal et du parcours du tramway sur la montagne.– 1947. VM97-3_7P11-34. Archives de la Ville de Montréal.

Vue aérienne de l’entrée du parc du Mont-Royal au coin des rues du Parc et du Mont-Royal et du parcours du tramway sur la montagne.– 1947. VM97-3_7P11-34. Archives de la Ville de Montréal.

La nouvelle route

Le vaste plan élaboré par Clarke et Rapuano pour la montagne ne sera jamais réalisé dans son ensemble. Dans les faits, les autorités municipales ne retiendront de celui-ci que deux aspects, l’ouverture d’un nouveau poste de police qui sera achevé en 1961 et le projet d’une route qui suivrait le tracé du tramway et rejoindrait le chemin Rememberance avec quelques nouvelles aires de stationnement.  Les travaux seront même complétés bien avant le dépôt du rapport final de la firme, car dès le 23 août 1955, le Comité Exécutif autorise le directeur du Service des Travaux publics à retenir les services de la firme d’ingénieurs Lalonde, Girouard et Letendre pour préparer les plans et les cahiers des charges de la route du mont Royal. Il faudra toutefois attendre février 1957 pour que le Conseil de ville approuve le projet et qu’une somme de 1 070 000$ soit votée pour sa réalisation.

Travaux sur le mont Royal pendant la construction du chemin Camillien-Houde et l’élargissement du chemin Rememberance. - 10 juillet 1958. VM105-Y-2_213-12. Archives de la Ville de Montréal.

Travaux sur le mont Royal pendant la construction du chemin Camillien-Houde et l’élargissement du chemin Rememberance. – 10 juillet 1958. VM105-Y-2_213-12. Archives de la Ville de Montréal.

La construction de la nouvelle voie débute en mars 1957. Il est prévu que celle-ci ait une largeur de 24 pieds de large (7,3 mètres), un accotement de dix pieds (3 mètres), ainsi qu’un belvédère. Le plan prévoit également un élargissement du chemin Rememberance pour également atteindre 24 pieds de largeur et avoir deux accotements de dix pieds chacun.

 

 

Chemin Camillien-Houde. -22 octobre 1958. VM105-Y-1_0638-002. Archives de la Ville de Montréal.

Chemin Camillien-Houde. -22 octobre 1958. VM105-Y-1_0638-002. Archives de la Ville de Montréal.

Aux yeux des autorités municipales, la création et l’ouverture de cette nouvelle voie traversant la montagne constitue un avancement important pour la ville de Montréal. Ceci est notamment exprimé par le président du comité exécutif Joseph-Marie Savignac au moment de l’ouverture de la nouvelle voie :

Par l’ouverture de la rue sur la montagne, nous avons surmonté un obstacle que l’on avait jusqu’alors jugé infranchissable. L’est et l’ouest se donnent maintenant la main pour assurer le progrès de la ville tout en mettant davantage en valeur le magnifique parc naturel que constitue le Mont-Royal.

Vue du chemin Camillien-Houde sur le mont Royal. / Jean-Paul Gill. – juillet 1960. -VM94-A0047-001. Archives de la Ville de Montréal

Vue du chemin Camillien-Houde sur le mont Royal. / Jean-Paul Gill. – juillet 1960. -VM94-A0047-001. Archives de la Ville de Montréal

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Vous pouvez consulter notre album Flickr, qui présente une sélection de 74 magnifiques photographies du mont Royal et du chemin Camillien-Houde tirées de nos archives. https://www.flickr.com/photos/archivesmontreal/albums/72157666480914268

Sources consultées:

Mathieu Caron, Modernizing Mount Royal Park : Montreal’s Jungle in the 1950s, Mémoire de maîtrise, M. A., Histoire, Université de Montréal, 2016, 121 p.

Claire Poitras, Étude de caractérisation de l’arrondissement historique et naturel du Mont-Royal, Commission des biens culturels du Québec, décembre 2005, 167 p.
https://www.cpcq.gouv.qc.ca/fileadmin/user_upload/docs/Mont-Royal.pdf

Alexandre Wolford, Le choix du tout-à-l’automobile à Montréal (1953-1967) : un contexte propice à l’aménagement de l’échangeur Turcot, Mémoire de maîtrise, M. A., Histoire, Université de Montréal, 2015.
https://archivesdemontreal.ica-atom.org/le-choix-du-tout-lautomobile-montreal-1953-1967-un-contexte-propice-lamenagement-de-lechangeur-turcot-mai-2015

VM001-D03, Fonds du Conseil de Ville de Montréal, Dossiers de résolution, 3e série.

VM166-D1, Collection de dossiers thématiques.

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5 réponses à La circulation à Montréal et la construction de la voie Camillien-Houde dans le parc du Mont-Royal (1950-1958)

  1. Gabriel Deschambault dit :

    Merci pour cet excellent reportage. J’y ai entre autres appris le souhait de Clarke et Rapuano de transformer le chemin Olmsted en voie automobile. Pas fort comme jugement professionnel. Ça montre la place de l’auto dans l’imaginaire collectif de cette époque.

  2. Pascal dit :

    Allo
    J’ai remarqué sur vos images flickr qu’il y avait un tunnel et un petit pont avant la construction de la route. Ça devait être une bonne connexion!
    Il n’y a jamais eu de plan pour le remplacer?

    • Nicolas Bednarz dit :

      Bonjour, le tunnel et le pont ont effectivement été démolis lors de la construction de la voie automobile, sans qu’un remplacement ne soit prévu. Bonne journée!

  3. pablojs dit :

    Merci Archives de Montréal pour ton avis.

  4. Alain DUFOUR dit :

    Excellent article et belles photos.
    C’était pourtant bien indiqué : Pente raide – Petite vitesse!

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