Les quartiers disparus de Montréal : la Petite-Bourgogne. Mouvements citoyens. 1966-1969.

Une collaboration spéciale de Alexis Baribeault St-Germain, stagiaire à la Division de la gestion des documents et des archives.

Bref historique de la Petite-Bourgogne

Photographie d'un édifice à logements dans les quartiers Saint-Henri / Petite-Bourgogne. - 1959. - Archives de la Ville de Montréal. VM097-Y-02-09F-P122

Un édifice à logements dans les quartiers Saint-Henri / Petite-Bourgogne. – 1959. – Archives de la Ville de Montréal. VM097-Y-02-09F-P122

Le village Delisle est officiellement constitué en 1864. Cette municipalité devient la ville de Sainte-Cunégonde en 1875, puis est annexée par la ville de Montréal en 1905, formant le quartier de la Petite-Bourgogne. Déjà à cette époque, le quartier bénéficie d’une vie culturelle riche, particulièrement liée à la présence importante de la communauté noire. Comme pour d’autres quartiers où la classe ouvrière prédomine, l’appauvrissement s’intensifie d’année en année avec les fermetures graduelles d’usines et la perte d’emplois qui accompagne ce phénomène. La Petite-Bourgogne est un vieux quartier dont les bâtiments d’architecture victorienne et les taudis ouvriers manquent souvent d’entretien, étant donné les problèmes financiers des propriétaires. Au cours des années 1950 et 1960, la Ville de Montréal se lance dans un processus de rénovation urbaine dans certains quartiers dont le Faubourg à m’lasse, le Village-aux-Oies, le Red Light District et la Petite-Bourgogne.

Vue vers l'est de la rue Coursol à partir du 2516 Coursol (est d'Atwater). - [196-]. - AVM. VM097-Y-02-09F-P086

Vue vers l’est de la rue Coursol à partir du 2516 Coursol (est d’Atwater). – [196-]. – AVM. VM097-Y-02-09F-P086

Naissance du mouvement citoyen

Pour éviter une escalade des tensions dans la Petite-Bourgogne, comme cela a souvent été le cas dans d’autres quartiers ciblés par des projets de rénovation urbaine, l’administration municipale tente de demeurer nuancée et d’avoir une approche plus harmonieuse avec les résidents et les résidentes du quartier. Les travaux sont annoncés pour l’année 1966 malgré les craintes de la population face aux expropriations. En réponse au caractère incertain du processus, les habitants du quartier créent une première association, le Réveil des Citoyens de Sainte-Cunégonde, afin de faire entendre aux autorités municipales leur droit de connaître tous les aspects du projet de rénovation urbaine. Pour Lucien Dickey, président du Réveil, l’inquiétude provient de deux réalités spécifiques au quartier de la Petite-Bourgogne : les mauvaises conditions d’habitation et l’expropriation de près de 200 foyers pour l’aménagement de nouveaux parcs et de nouveaux édifices à logements.

En juin 1967, les locataires des îlots Saint-Martin se soulèvent également et manifestent contre l’absence de mesures compensatoires aux évictions. Le président du comité exécutif de Montréal, Lucien Saulnier, répond qu’il considère illogique d’offrir un montant compensatoire aux familles délogées. La quarantaine de familles devant être évincées du quadrilatère des rues Quesnel, Saint-Jacques, Vinet et Atwater n’acceptent pas cette réponse de la Ville. Elles vont former le comité des citoyens des Îlots Saint-Martin (ou l’Association des résidents des Îlots Saint-Martin) en août 1967.

Actions du comité des citoyens des Îlots Saint-Martin

En 1968, les principaux chevaux de bataille de ce comité s’apparentent à ceux du Réveil des Citoyens de Sainte-Cunégonde. La Ville finit par accepter de relocaliser les habitants évincés. Toutefois, plusieurs des familles évincées se considèrent mal loties en comparaison de leur ancien logement dans la Petite-Bourgogne. Le comité des citoyens des Îlots Saint-Martin envoie deux mémoires, des pétitions et des lettres ouvertes aux autorités municipales, leur faisant part de leur volonté de résister aux travaux si une réponse aux incertitudes planant sur l’avenir des résidents et résidentes du quartier n’est pas offerte. Les mémoires contiennent également des recommandations pour apaiser les tensions et faciliter le processus de délogement et de relogement.

Le 30 juillet 1968, dix mois après la date prévue, les travaux doivent commencer aux îlots Saint-Martin. Lors de l’inauguration de ces travaux, des centaines de citoyens et citoyennes du quartier sont réunis, incluant les divers comités et associations. Leur participation à l’inauguration des travaux a pour but d’orchestrer un rapprochement entre les administrateurs de la Ville et les citoyens de la Petite-Bourgogne. Les invités du gouvernement provincial et les autorités municipales se font voler la vedette par la présidente du comité des citoyens des Îlots Saint-Martin, Jeanne Leblanc, qui prononce une allocution longuement applaudie, et par l’un des membres du comité, Noël Daudelin.

Les tensions s’apaisent mais un nouveau problème se présente : l’administration éventuelle des nouvelles habitations. Les membres du comité sont en désaccord avec la politique sur les plans d’habitations de l’époque, telle que celle mise en place pour les Habitations Jeanne-Mance, dans laquelle la Ville est entièrement responsable. Un troisième mémoire du comité révèle que les citoyens veulent être en mesure de participer activement à l’administration des nouveaux îlots d’habitations et établir leur propre échelle des loyers.

Fin du conflit

En janvier 1969, la Société d’habitation du Québec (SHQ) présente son échelle des loyers pour les nouveaux logements du quartier de la Petite-Bourgogne. Celle-ci ignore l’entente préalable survenue entre le comité des citoyens et citoyennes des Îlots Saint-Martin et la Ville. La grogne populaire revient en force et une nouvelle rencontre avec Lucien Saulnier est organisée pour le mois de février. La Ville se montre conciliante et accepte l’échelle proposée par les comités citoyens. Cependant, une confusion relative à la responsabilité de l’avancement du projet entre la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec persiste. Ce dernier refuse d’une traite l’échelle des loyers proposée. Il faudra quelques rencontres tendues entre les autorités municipales, le comité citoyen, la SHQ et le ministre des Affaires municipales pour qu’enfin le gouvernement du Québec cède et accepte l’échelle initiale.

Vue vers le nord de la rue Saint-Martin et des édifices à logements vue depuis un terrain vague près de la rue Notre-Dame. - [1973?]. - Archives de la Ville de Montréal. VM097-Y-02-09F-P190

Vue vers le nord de la rue Saint-Martin et des édifices à logements vue depuis un terrain vague près de la rue Notre-Dame. – [1973?]. – Archives de la Ville de Montréal. VM097-Y-02-09F-P190

Si l’expérience de la Petite-Bourgogne et des îlots Saint-Martin n’a pas été des plus harmonieuses en matière de rénovation urbaine, elle a néanmoins permis la naissance d’une rénovation sociale et d’une conscience communautaire, dans laquelle les citoyens et citoyennes prennent soin de leurs propres réalités. Le combat mené par le comité des citoyens des Îlots Saint-Martin aura engendré un changement d’attitude de la part du gouvernement du Québec et des autorités municipales quant à d’autres projets de rénovation urbaine et sur la façon d’interagir auprès des citoyens et des citoyennes concernés.

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Vous pouvez consulter notre album Flickr, qui présente une sélection de 176 photographies tirées du Fonds Urbanisme et habitation : https://www.flickr.com/photos/archivesmontreal/albums/72177720306257063

Vous pouvez aussi accéder à l’ensemble des descriptions du photo-reportage sur les quartiers de la Petite-Bourgogne et Saint-Henri (VM097-Y-02-09F) dans notre catalogue : https://archivesdemontreal.ica-atom.org/d09f-saint-henri-petite-bourgogne-et-autres-1959-1974

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Sources consultées :

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