1941. Mme Anna Beauchamp, née Labelle, quitte en vitesse sa riche demeure du 219 Sherbrooke ouest. Emmitouflée dans son vison, elle monte dans sa Cadillac et se fait conduire au Palais de justice. Son chauffeur l’attendra à la porte. Elle s’en va récupérer quelques jeunes filles ainsi que Paulette, sa fidèle gérante depuis l’ouverture de sa première maison close en 1933. Mme Beauchamp pense avec nostalgie à ce temps béni où tout était encore à faire. Alors qu’elle effectue une entrée royale au Palais de justice, elle se souvient avec fierté de sa progression dans le milieu du Red Light.
Avec Ida Katz et Lucie Delicato Bizante, Mme Beauchamp est l’une des trois principales tenancières de ce quartier de Montréal, « ville ouverte ». En plein essor depuis le début du 20e siècle, le Red Light profite pendant les années 1940 d’une certaine…tolérance de la part des autorités. En effet, les tenancières sont averties à l’avance des descentes et ne laissent que quelques filles sur place. Celle qui ouvre la porte aux policiers est automatiquement arrêtée en tant que propriétaire du lieu. Le lupanar n’est jamais fermé très longtemps. Les amendes renflouent les coffres de la ville de quelque 60 000$ par année (Daniel Proulx. 1997. Le Red Light de Montréal. Montréal : VLB Éditeur, p. 21). On dit même que les autorités passent chaque semaine chez Mme Beauchamp pour discuter des descentes à venir.
1950. Un climat de protestation monte, alimenté par une série d’articles publiés dans le Devoir, qui dénoncent le laxisme de la police. Pacifique «Pax» Plante et le jeune avocat Jean Drapeau présentent une requête pour mener une enquête sur la conduite des policiers de la Ville de Montréal. La Commission d’enquête sur la moralité publique du juge François Caron débute le 11 septembre 1950 et se termine le 2 avril 1953, après avoir tenu 335 séances et vu défiler 373 témoins. Plusieurs policiers sont condamnés à des amendes salées et à des peines d’emprisonnement.
Lors des séances, des centaines de documents sont déposés comme preuves, dont une grande quantité de photos de lieux et de personnes liés aux commerces illégaux. Il est question de récidivistes comme Marguerite Smith, qui a reçu nombre d’amendes entre 1941 et 1943 pour avoir tenu une «maison de désordre» au très actif 1225 de Bullion et avoir fait de la «sollicitation au chassis», ou comme Henry Druik, arrêté huit fois entre 1938 et 1942 pour avoir encouragé ces messieurs à parier à sa maison de jeu au 463 McGill. En regardant ces photographies, difficile de rester insensible face à ces regards tantôt hagards, tantôt crâneurs, de ne pas être fasciné et en même temps amusé par ces cheveux gominés et ces sourcils épilés. Il faut dire que les photos d’identité judiciaires ne sont jamais très flatteuses!
Pour voir certains des visages liées aux commerces illégaux, quelques façades cachant des activités troubles et avoir une idée de ce à quoi ressemblait l’intérieur des maisons de jeu, rendez-vous sur notre nouvel album Flickr, à l’adresse suivante : https://www.flickr.com/photos/archivesmontreal/sets/72157633840133730/
Consultez aussi notre liste des maisons closes de Montréal en 1944 : https://archivesdemontreal.com/2012/03/27/une-liste-des-maisons-closes-de-montreal-en-1944/
Découvrez l’intégralité des dépositions et autres documents créés dans le cadre de l’enquête Caron dans notre catalogue en ligne : https://archivesdemontreal.ica-atom.org/fonds-de-la-commission-denquete-presidee-par-le-juge-francois-caron-1925-1957;rad
Et surtout, ne manquez pas l’exposition «Scandale! Vice, crime et moralité à Montréal» qui se tiendra au Centre d’histoire de Montréal à compter du 15 novembre 2013 : https://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=8757,97685589&_dad=portal&_schema=PORTAL
Une collaboration spéciale de Dominique Pelletier, stagiaire à la Section des archives