Montréal et la Grande Guerre : l’effort humain (1ère d’une série de 6)

BM5-3_14(C48)-001Il y a 100 ans, la Grande-Bretagne entrait en guerre contre l’Allemagne, entraînant à sa suite le Canada et les autres dominions britanniques. Comment les Montréalais, partis au front ou demeurés au pays, ont-ils vécu ce terrible conflit, d’une intensité sans précédent? Cette série de six articles vise à partager certaines traces émouvantes du passage de Montréal à travers cette époque troublée, qui ont été conservées dans nos chambres fortes.

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Montréal. 1915.

Montréal. 1915. BM42,SY,SS1,P0760.

Août 1914. La Grande-Bretagne est officiellement en guerre contre l’Allemagne après que celle-ci ait entamé les hostilités contre la France et envahi la Belgique. La Première Guerre mondiale est bel et bien entamée. Au Canada, les réactions sont vives. Les offres de service enthousiastes de la part des divers corps de la milice canadienne fusent auprès du gouvernement fédéral. À Montréal, le ministre de la Milice et de la Défense Sam Hugues autorise notamment la mobilisation de deux bataillons d’infanterie, le 13e (formé par le Black Watch ou Royal Highland Regiment) et le 14e (formé par les Grenadier Guards, les Victoria Rifles of Canada et les Carabiniers de Mont-Royal).

 

Des réservistes français rappelés de partout au pays affluent à Montréal pour s’embarquer vers l’Europe. L’administration municipale les loge généreusement au refuge Meurling, qui a officiellement ouvert ses portes au début de l’année 1914. Parmi ces premiers appelés se trouvent de nombreux fonctionnaires de la Ville de Montréal et des municipalités avoisinantes.

 

Employés de la Ville de Montréal au front en 1917. VM45,S3,D3.

Employés de la Ville de Montréal au front en 1917. VM45,S3,D3.

 

Une foule énorme acclame le premier contingent en partance pour la guerre, dans un enthousiasme proche de celui vécu sur le continent européen. Le maire Médéric Martin fait hisser l’Union Jack, le Tricolore et le drapeau russe sur l’hôtel de ville. Si ces premiers départs se font dans le bruit le plus complet, les suivants s’entourent cependant de mystère, alors que la menace sous-marine allemande grandit. Des sentinelles font rapidement leur apparition et barrent désormais l’accès aux quais du port.

 

L’entrée en guerre soulève parallèlement bien des inquiétudes et des oppositions, particulièrement chez les francophones, dont la frange nationaliste s’insurge de plus en plus contre la participation canadienne au conflit. Le fondateur du Devoir Henri Bourassa multiplie ainsi les critiques éditoriales. Les soirées de recrutement organisées en plein air avec fanfares et discours recontrent parfois une réception tumultueuse, alors que de jeunes nationalistes hostiles à la Grande-Bretagne s’en prennent verbalement aux recruteurs. Des échauffourées surviennent, notamment sur le Champ-de-Mars. Les tensions s’avivent entre francophones et anglophones, encouragées par le peu de considération dont font souvent preuve les officiers anglophones face aux recrues francophones, qui comprennent mal les commandements et l’encadrement anglo-saxon.

 

Départ de soldats pour l'Europe. 1914-1918. Musée McCord. Cliquer sur la photo pour accéder à la liste des soldats du 22e enrôlés en 1915.

Départ de soldats pour l’Europe. 1914-1918. Musée McCord. Cliquer sur la photo pour accéder à la liste des soldats du 22e enrôlés en 1915.

Plusieurs journaux suggèrent d’ailleurs que les volontaires canadiens-français soient constitués en bataillons distincts et mis directement au service de la France. Un « Régiment canadien-français » est mis sur pied, complète rapidement son effectif et reçoit la désignation officielle de 22e bataillon d’infanterie canadienne. Son premier contingent compte 1024 hommes. Montréal le chérit particulièrement et le journal La Presse lui consacre chaque jour plusieurs colonnes. Le 22e est envoyé en Nouvelle-Écosse, où il complète son entraînement. Le 20 mai 1915, il s’embarque sur le S.S. Saxonia pour l’Europe et subit ses premières pertes au front le 15 septembre suivant.

Le régiment du Black Watch sur le Champ-de-Mars à Montréal, la veille de son départ pour l'Europe. 1916.

Le régiment du Black Watch sur le Champ-de-Mars à Montréal, la veille de son départ pour l’Europe. 1916.

Un autre départ depuis le Champ-de-Mars en 1916 :

Affiche de recrutement pour le 163e. 1915-1916. P104,S1,SS1,D1.

Affiche de recrutement pour le 163e. 1915-1916. P104,S1,SS1,D1.

La Grande Guerre s’avère terriblement meurtrière et les besoins en hommes se multiplient (70 millions de soldats seront enrôlés à travers le monde tout au long du conflit). D’autres bataillons d’infanterie doivent être levés à Montréal, comme le 73e et le 87e. Bouleversé par l’occupation et les pertes subies par la France, le journaliste et auteur nationaliste Olivar Asselin décide en novembre 1915 de se porter volontaire, malgré son opposition antérieure à la participation militaire canadienne. Le ministre Hughes l’invite à lever un nouveau bataillon d’infanterie canadien-français à Montréal. Ce sera le 163e, surnommé les « Poils-aux-pattes », dont Asselin devient major et commandant en second, confiant le commandement principal au lieutenant-colonel Henri Desrosiers, militaire expérimenté de retour du front. Les murs de Montréal sont tapissés d’affiches de recrutement afin d’encourager les volontaires, que l’on va chercher jusqu’au refuge Meurling, parmi les chômeurs et les démunis. Un autre bataillon canadien-français est formé en plus du 163e, ce sera le 206e, commandé par le lieutenant-colonel Pagnuelo.

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Les Montréalais font front commun

La Guerre entraîne le départ au front de nombreux hommes et une fragilité subséquente pour les familles laissées à l’arrière. Montréal traverse de plus une crise économique en ce début de conflit et les chômeurs se multiplient. La mise sur pied de fonds de secours tant privés que publics s’impose donc rapidement en 1914.

 

Le député montréalais H.B. Ames organise sous les auspices du gouvernement fédéral un « Fonds patriotique », qui permettra d’apporter des secours aux familles des soldats partis au front. Les souscriptions affluent : la brasserie Molson et la compagnie des Tramways versent ainsi 10 000$ chacune tandis que des particuliers comme Monseigneur Bruchesi souscrivent 1000$. La ville de Maisonneuve vote un don de 5000$ (l’équivalent de plus de 100 000$ de nos jours). Suivant l’exemple tracé par le personnel du Canadien-Pacifique, des employés d’usines, de magasins ou de bureaux souscrivent une journée de salaire. Une kyrielle d’activités caritatives sont organisées. La glace artificielle qui vient de faire son apparition permet par exemple la tenue d’une partie intérieure de hockey à Westmount, une première, au profit du fonds patriotique.

 

Les œuvres de guerre foisonnent plus généralement. Les fonds de secours belges et français lancent leurs propres campagnes. Le comité France-Amérique présidé par le sénateur Raoul Dandurand centralise les fonds destinés à la Croix-Rouge. Montréal devient le lieu de toutes les charités. À l’hôtel de ville, Médéric Martin craint que les chômeurs montréalais ne soient sacrifiés et projette un programme de travaux municipaux mais se heurte à une caisse vide. D’innombrables soirées-bénéfices de tous genres sont organisées, allant du concert au récit de guerre, en passant par les spectacles de cirque ou les événements protocolaires. De passage à Montréal en 1917, le populaire général Joffre est mis à contribution par la propagande locale, alors qu’il inaugure la toute nouvelle Bibliothèque municipale. Quatre ans plus tard, ce sera au tour du maréchal Foch de s’y arrêter.

Aide aux démunis. Conseil municipal. 1914. VM1,S10,D214.

Aide aux démunis. Conseil municipal. 1914. VM1,S10,D214.

La guerre meurtrière et coûteuse amène donc paradoxalement son lot de dévouement généreux, tant sur le plan humain que financier. Les Montréalais seront très nombreux à s’impliquer à leur manière dans cette lutte qui s’annonce longue.

Rationnement et ravitaillement des alliés. 1914-1918. SHM4,S4,D13.

Rationnement et ravitaillement des alliés. 1914-1918. SHM4,S4,D13.

 

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À suivre! Prochain article :

Montréal et la Grande Guerre : les tranchées contées par Olivar Asselin à son jeune fils.

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Pour en apprendre plus :

14-18, la Grande Guerre des Canadiens, par la Société Radio-Canada.

14-18 Cent ans après, par Le Devoir

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Sources :

  • Archives de la Ville de Montréal.
  • Rumilly, Robert. Histoire de Montréal (tome 3). 1972,  524 p.
  • Linteau, Paul-André. Histoire de Montréal depuis la Confédération. 1992,  613 p.
  • Astorri, Antonella et Patrizia Salvadori. Histoire illustrée de la Première Guerre mondiale. 2008. 191 p.

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1 réponse à Montréal et la Grande Guerre : l’effort humain (1ère d’une série de 6)

  1. Renée Rouleau dit :

    TRRRÈS intéressant !

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