Nous sommes très heureux de rendre aujourd’hui accessibles les archives personnelles du célèbre maire de Montréal Camillien Houde. Ces documents exceptionnels nous ont été donnés par madame Monique Thouin, petite-fille de Camillien Houde et de Georgianna Falardeau. Le fonds d’archives a été traité et numérisé intégralement afin d’assurer sa préservation et de permettre à tous de le consulter en ligne.
Le fonds Camillien Houde nous offre une fenêtre absolument nouvelle sur la vie familiale et publique de l’un des maires les plus importants de Montréal. Il témoigne notamment des quatre longues années d’emprisonnement vécues par Camillien Houde suite à sa déclaration contre l’enregistrement national et la conscription en 1940. Le fonds comprend ainsi la volumineuse correspondance échangée avec sa famille au cours de son exil en camp d’internement. Il inclut également de nombreuses photographies de la vie personnelle et politique de « Monsieur Montréal », ainsi que plusieurs spicilèges datant des années 1920 à 1950.
Vous trouverez dans cet article un retour sur la vie passionnante de cet homme unique et charismatique, ainsi que tous les liens nécessaires à la consultation de ses archives. Nous en profitons également pour souligner que ces archives feront une apparition scénographique bien spéciale dans le cadre de la pièce Camillien Houde, « le p’tit gars de Sainte-Marie », présentée au théâtre Espace libre du 22 août au 2 septembre 2017.
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Camillien Houde naît le 13 août 1889, rue Saint-Martin, dans le quartier ouvrier de Saint-Henri à Montréal. Il vient d’un milieu modeste et rien ne semble le disposer à une renommée quelconque. Son père, qui est contremaître dans une minoterie, décède de la tuberculose alors qu’il n’a que neuf ans. Tout en continuant ses études, il doit aider sa mère en travaillant chez un boucher. Il fréquente les écoles Saint-Joseph, Sarsfield, Le Plateau et Saint-Louis avant de compléter son cours commercial au Collège LaSalle, à Longueuil, où le frère Marie-Victorin est l’un de ses professeurs. Il entre ensuite à la Banque Canadienne Nationale. Passionné de théâtre, il occupe ses loisirs en étudiant l’élocution et l’art dramatique.
Nommé assistant-inspecteur de la Banque d’Hochelaga en 1912, il devient 3 ans plus tard, à 26 ans, gérant de succursale. Il a entretemps épousé Bertha-Andréa Bourgie (dite Mignonne), fille d’Urgel Bourgie, entrepreneur de pompes funèbres. De ce premier mariage célébré en 1913 naissent deux filles, Madeleine et Marthe, ainsi qu’un garçon Jean-Guy (décédé à 18 mois). Camillien achète une maison à Longueuil avec l’aide financière de son beau-père. Le trajet hivernal vers Montréal sur la glace s’avère toutefois très long et la famille déménage à Montréal, rue Sherbrooke. Malheureusement, Mignonne Bourgie est emportée en 1918 par l’épidémie de grippe espagnole qui sévit à travers le monde. Camillien n’a que 28 ans.
Dès 1919, le jeune veuf épouse en secondes noces Georgianna Falardeau, avec qui il aura une troisième fille, Claire (1921). Secrétaire dans une compagnie de biscuits, Georgianna joue un rôle important dans l’orientation de carrière de Camillien. C’est en effet elle qui le convainc de quitter la banque vers un métier plus rémunérateur. Cela n’ira cependant pas sans difficulté puisque son époux exercera de multiples fonctions, ouvrant par exemple à Montréal une succursale de la biscuiterie Dufresne, travaillant pour un commerçant d’appareils électriques sur la rue Amherst, important des vins pour la Commission des Liqueurs du Québec ou vendant du charbon, avant de finalement devenir agent d’assurance à la compagnie La Sauvegarde.
En décembre 1922, Camillien Houde est nommé secrétaire du nouveau club conservateur du comté politique provincial de Sainte-Marie. À une époque où le parti libéral est tout puissant dans ce comté, le parti conservateur semble toutefois n’avoir aucune chance de battre le candidat libéral Joseph Gautier. Aucune personnalité connue ne souhaite s’y présenter pour les conservateurs dans le cadre des élections de 1923 : on envoie donc comme candidat un « sacrifié », en l’occurrence le jeune secrétaire Camillien Houde. Ce dernier s’avère un lutteur infatigable. À la surprise de tous, il est élu avec une majorité de 533 voix. Sa carrière politique débute.
Souvent décrit comme un « spécialiste des questions ouvrières », le jeune Camillien séduit grâce à sa fougue et à son langage populaire. Il se fait progressivement le défenseur des gagne-petit (les vieillards, les ouvriers, les mères nécessiteuses), de la petite industrie et des petits commerçants. S’il deviendra un politicien connu à l’échelle de la province (il sera notamment chef du parti conservateur de 1929 à 1932), puis du pays (il fait le saut à quelques reprises sur la scène fédérale), c’est surtout à Montréal qu’il laissera sa marque. Houde participe en effet à 9 campagnes électorales municipales de 1928 à 1950. Il en ressort vainqueur 7 fois et exerce son rôle de dirigeant pendant plus de 17 ans : il est maire de Montréal de 1928 à 1932, de 1934 à 1936, de 1938 à 1940 et de 1944 à 1954.
En 1928, lorsque Houde accepte de se lancer en campagne contre le maire sortant Médéric Martin (en poste de 1914 à 1924, puis de 1926 à 1928), les appuis affluent. Son programme vise notamment à créer une commission d’urbanisme chargée de planifier le développement de la ville; à hausser les fonds du Service de Santé de la Ville pour lutter contre les épidémies; à créer de nouveaux terrains de jeux; à mettre en place des mesures pour encourager les industries à s’établir à Montréal; à augmenter le nombre de tramways qui sont bondés aux heures de pointe et à éliminer les dépotoirs en les remplaçant par des incinérateurs. Élu avec une majorité de plus de 20 000 voix, Houde entame son mandat en promettant d’ouvrir l’hôtel de ville aux simples citoyens, plutôt qu’aux visiteurs de marque seulement. Il est toutefois régulièrement bloqué dans la réalisation de son programme alors que le comité exécutif demeure composé d’échevins associés au régime de Médéric Martin.
Lors de l’élection de 1930, Houde obtient plus de 40 000 voix de majorité et fait élire 18 de ses échevins. Il peut cette fois imposer les réformes de son programme. Il est très rapidement guidé par la nécessité de soulager la misère engendrée par la grande crise économique qui sévit. Dès 1930, l’administration municipale entreprend de grands travaux afin de donner des emplois au plus grand nombre possible de chômeurs. En plus du pavage des rues et des trottoirs ou de la construction de viaducs, on aménage de nouvelles patinoires, des chalets, des jeux et des vespasiennes (ou « camilliennes ») dans les parcs. Les marchés Atwater et Saint-Jacques sont érigés, de même que les bains publics Mathieu, Schubert, Quintal et Morgan. La nouvelle station de pompage du réservoir McTavish fait son apparition sur la montagne. Deux grands égouts collecteurs sont aménagés afin de canaliser la rivière Saint-Pierre et le nord de la Ville, entre Ahuntsic et Montréal-Nord. De nouvelles canalisations principales sont construites sous l’Avenue des Pins et l’avenue Atwater. L’aménagement du Jardin botanique se concrétise à cette époque, notamment sur la suggestion de l’ancien professeur et ami de Camillien Houde, le frère Marie-Victorin. Sur le plan personnel, le maire n’hésite pas à y aller de généreuses contributions et à transformer son logement de la rue Saint-Hubert en véritable centre d’entraide.
La période de la crise est marquée pour Camillien par de courts séjours dans l’opposition suivis de retours en force au pouvoir. Le 5 avril 1932, il s’incline ainsi devant Fernand Rinfret, qui l’emporte par une faible majorité de 12 500 voix. Aux élections municipales de 1934, il affronte Salluste Lavery et son parti national socialiste chrétien, d’inspiration nazie, et Anatole Plante, appuyé par le parti libéral provincial. Houde résume son programme ainsi : « Je ferai mon possible ». Il insiste surtout sur le problème du chômage et se contente d’une promesse concrète, celle d’aider les locataires sans argent ayant reçu un avis de renvoi pour le 1er mai suivant. Il l’emporte par une écrasante majorité avec 89 603 voix, devant Plante (37 000 voix) et Lavery (13 000 voix). Il reprend la tête d’une administration dont la majorité des membres sont houdistes.
Camillien Houde travaille à débloquer des crédits pour subvenir aux besoins des indigents. La Ville collabore avec la Société Saint-Vincent de Paul pour aider les familles défavorisées. En juin 1934, environ 150 000 personnes, dont 41 428 chômeurs dépendent de l’assistance chômage. Houde fait voter une taxe de vente de 2%, un impôt sur le revenu ainsi qu’une surtaxe sur les compagnies d’utilité publique pour financer l’aide nécessaire. Les critiques fusent, notamment de la part de Maurice Duplessis, qui remporte les élections provinciales de 1936. Camillien démissionne le 31 août, invoquant entre autres ses relations difficiles avec Duplessis. Il est battu à l’élection suivante par Adhémar Raynault.
Tout au long des années 1930, Camillien se montre proche des citoyens, recevant à son bureau des milliers de chômeurs, allant jusqu’à donner une partie de son salaire aux gens dans le besoin. En 1938, le climat social se modifie, alors que le chômage se résorbe partiellement. Houde se présente à nouveau aux élections municipales et cherche à offrir l’image du juste milieu, entre la classe ouvrière, qui exige travail et sécurité, et les hommes d’affaires, qui demandent une gestion saine et efficace. Promoteur de la paix sociale, il l’emporte par une mince majorité. C’est lors de ce mandat qu’il reçoit la visite du roi d’Angleterre George VI et de la reine Elizabeth : la réception à l’hôtel Windsor compte plus de 1 000 convives. L’administration municipale est cependant toujours plus endettée (270 millions en avril 1940). Le parti libéral provincial vote conséquemment la mise en tutelle de Montréal : le maire redevient un magistrat confiné dans un rôle protocolaire.
L’avènement de la Seconde Guerre mondiale vient bouleverser le destin de Camillien Houde. Refusant toute idée de conscription, ce dernier déclare officiellement son opposition à l’enregistrement national le 2 août 1940, allant même jusqu’à enjoindre les citoyens à ne pas s’y conformer : « Je me déclare péremptoirement contre l’enregistrement national qui est, sans aucune équivoque, une mesure de conscription, (…) je ne me crois pas tenu de me conformer à la dite loi et je n’ai pas l’intention de m’y conformer et je demande à la population de ne pas s’y conformer, sachant ce que je fais et ce à quoi je m’expose ». Perçu par les autorités canadiennes comme un ennemi de l’intérieur, le maire de Montréal est arrêté par la police fédérale à sa sortie de l’hôtel de ville, vers 11 heures du soir, le 5 août 1940, rue Notre-Dame, près du château de Ramezay. Conduit aux quartiers généraux de la police fédérale à la Place d’Armes, il est interrogé, puis envoyé au camp d’internement de Petawawa, situé à 16 km au nord de Pembroke, en Ontario.
Camillien Houde reste près de quatre ans en détention. Il devient le prisonnier no 694 au camp de Petawawa et découvre les baraques de bois, comprenant les dortoirs, les cuisines et l’infirmerie, tout en endossant son uniforme de futaine bleue orné dans le dos d’un large disque rouge. Le camp accueille notamment des ressortissants allemands et italiens, des communistes et des sympathisants nazis canadiens, parmi lesquels Adrien Arcand. La vie est monotone : réveil à six heures, petit déjeuner, rassemblement, appel des prisonniers, départ pour le travail. Camillien a choisi les corvées forestières : il scie et fend du bois pour la cuisine. Il entretient une volumineuse correspondance avec son épouse Georgianna et ses filles, ces dernières lui relatant toutes les démarches effectuées pour sa libération, en donnant des nouvelles de la vie montréalaise et en prodiguant tous les encouragements nécessaires. La censure ne manque pas de retirer certains passages de ces longues lettres suite à un examen attentif. Cette correspondance se trouve aujourd’hui au centre de notre fonds d’archives.
À l’été 1942, Camillien Houde est transféré au camp de prisonniers 70, situé non loin de Fredericton, au Nouveau Brunswick. Les visites familiales sont rares, brèves, et se déroulent obligatoirement en anglais, sous surveillance des autorités. Le 16 août 1944, Houde est enfin libéré. Le 17 août 1944, il est accueilli à la Gare centrale de Montréal par une foule en liesse. Pour plusieurs, il est devenu le héros qui a su exprimer le sentiment inavoué de bon nombre de Canadiens français.
Lorsqu’il se présente à nouveau aux élections municipales en décembre 1944, Camillien Houde semble plus charismatique que jamais alors qu’il fait figure de martyr politique. Sa forte popularité auprès des Montréalais lui permet de l’emporter par une majorité de 15 000 voix, malgré une absence relative de programme, alors qu’il se limite à évoquer la nécessité d’un centre civique, d’un métro et de logements salubres. Pendant dix ans, il sera le maire incontesté de Montréal. En 1947, son influence est tellement forte qu’aucun candidat ne se risque à l’affronter. Il est élu par acclamation en décembre. Mettant de plus en plus l’accent sur le développement économique de Montréal, Houde se montre plus prudent dans ses interventions politiques. Désormais surnommé « Monsieur Montréal », il se voit restituer ses pouvoirs enlevés par la mise en tutelle de 1940 en mars 1949. Le maire devient ainsi membre du comité exécutif d’office et de toutes les commissions municipales.
En 1950, à 61 ans, Camillien Houde entame sa dernière campagne municipale. Face à son adversaire Sarto Fournier, il évoque ses réalisations : aménagement de l’île Sainte-Hélène, construction d’une gare d’autobus à l’intersection de Berri, mise en place du restaurant du parc La Fontaine, prolongement du boulevard Saint-Joseph et de l’avenue Mont-Royal dans l’est, etc. Il réitère par ailleurs l’importance de la construction d’un métro. Malgré les accusations suggérant que la pègre est plus florissante que jamais à Montréal depuis son arrivée, Camillien Houde l’emporte facilement par une majorité de 30 000 voix. Au cours de ce dernier mandat, le maire se fait plus discret, se contenant d’administrer efficacement la ville tout en jouant son rôle de dignitaire. En octobre 1951, il reçoit ainsi la princesse Elisabeth (actuelle reine d’Angleterre) et son époux, le duc d’Edimbourg. Devenu un personnage aimé de la grande majorité, Camillien Houde se retire en 1954 pour des raisons de santé. Il aura traversé des périodes marquantes du développement de Montréal comme la grande crise économique et les tensions liées à la Seconde Guerre mondiale.
Adulé des gagne-petit, Camillien Houde demeure une figure emblématique de l’histoire de Montréal. Politicien plus grand que nature, tacticien redouté et admiré, il décède le 11 septembre 1958 à l’âge de 69 ans. Il est inhumé le 15 septembre suivant, dans le cimetière Notre-Dame-des-Neiges, à Montréal.
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Consulter les documents
Sélection Flickr de 117 photographies : https://www.flickr.com/photos/archivesmontreal/albums/72157685152311600
Le fonds d’archives intégral dans notre catalogue :
https://archivesdemontreal.ica-atom.org/fonds-camillien-houde-188-1992
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Sources
- Dupont, Claude. Camillien Houde, politicien de carrière. 1972. Thèse présentée à l’École des Études supérieures de l’Université d’Ottawa.
- Tard, Louis-Martin. Camillien Houde, le Cyrano de Montréal. 1999. XYZ Éditeur.
- La Roque, Hertel. Camillien Houde, le p’tit gars de Sainte-Marie. 1961. Les Éditions de l’homme.
- Exposition virtuelle « La Démocratie à Montréal ». 2006. https://www2.ville.montreal.qc.ca/archives/democratie/democratie_fr/expo/index.shtm
Merci pour les archives. Je suis un des cousins de Camillien Houde. Vous savez petit-petit-petit cousin !!! Mon grand-papa Adélard Houde comme architecte, a aussi travaillé pour la ville de Montréal et ce pendant 35 ans .
Merci infiniment pour cette collection d’archives, je suis le petit cousin éloigné, au 1er degré de Georgiana Falardeau.
Georgianna Falardeau petite-cousine éloigné au 1er degré